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5. Considère, pour t’exciter à la prière, la similitude ou la comparaison suivante ; elle est, comme celle du mauvais riche, empruntée aux contraires. « Il y avait, disait le Seigneur, dans une certaine ville, un juge qui ne craignait point Dieu et ne se souciait point des hommes. Une veuve le pressait chaque jour et lui disait : Fais-moi justice. Pendant un temps il refusa. » La veuve pourtant ne cessait de le presser, et il fit par ennui ce qu’il ne voulait point faire par complaisance [1]. C’est ainsi que par la vue du contraire le Sauveur nous invite à prier.
6. Un hôte lui étant arrivé, dit-il encore, « l’ami alla trouver son ami. Il se mit à frapper à sa porte et à lui dire : Un étranger vient de m’arriver ; prête-moi trois pains. Je repose, reprit l’autre, et mes serviteurs reposent comme moi. » Le premier cependant ne cesse de frapper, il ne s’en va pas, il insiste ; c’est en quelque sorte un ami qui mendie près de son ami. Et l’a conséquence ? « Je vous le déclare, il se lève et sinon par amitié, du moins à cause de son importunité, il lui donne tous les pains qu’il demande[2]. » – « Sinon par amitié », quoiqu’il soit vraiment son ami ; « du moins à cause de son importunité ? » Qu’est-ce à dire, « à cause de son importunité », Parce qu’il n’a point cessé de frapper, parce que après le refus il ne s’en est point allé.L'un a fini par donner ce qu’il ne voulait pas, parce que l’autre n’a point fini de le demander. Combien plus nous donnera ce bon Père qui nous exhorte à demander et à qui nous déplaisons en ne demandant pas ! S’il tarde quelquefois, c’est pour donner plus de valeur à ses grâces, et non pour les refuser. On reçoit avec plus de plaisir ce qu’on désire depuis longtemps, et l’on dédaigne bientôt ce qu’on a obtenu si vite. Demande, cherche, insiste. En demandant et en cherchant tu grandis, tu deviens capable de saisir. Dieu ne veut point t’accorder encore ce qu’il se réserve de te donner plus tard, afin de t’inspirer de grands désirs pour les grandes choses. Aussi « faut-il prier toujours et ne se lasser jamais[3]. »
7. Ainsi donc, mes frères, puisque Dieu fait de nous ses mendiants, en nous avertissant, en nous pressant, en nous ordonnant de demander, de chercher et de frapper, considérons de notre côté quels sont ceux qui nous demandent. À qui demandons-nous ? Qui sommes-nous ? Que sollicitons-nous ? Nous demandons au Dieu bon ; nous sommes mauvais, et pour devenir bons nous demandons la justice. Ainsi nous demandons ce que nous pouvons posséder éternellement, ce qui nous préserve à jamais de tout besoin, une fois que nous en sommes rassasiés. Mais pour en être rassasiés, il nous faut d’abord en avoir faim et soif ; il faut que pressés par cette faim et par cette soif, nous demandions, nous cherchions-, nous frappions. « Heureux » en effet « ceux qui ont faim et soif de la justice. » Comment, heureux ? Ils ont faim et soif et ils sont heureux ? Le besoin fut-il jamais heureux ? Ils ne sont pas heureux pour avoir faim et soif, mais parce qu’ils « seront rassasiés [4]. » Cette béatitude se trouvera donc dans le rassasiement et non dans la faim. Cependant comme le dégoût ne se porterait pas vers les aliments, il faut que le rassasiement soit précédé par la faim.
8. Nous savons à qui demander, qui nous sommes et ce que nous demandons. Mais à nous on demande aussi. Nous sommes les mendiants de Dieu ; afin d’être reconnus par lui, reconnaissons ceux qui mendient près de nous. Ici encore, et lorsqu’on nous demande, examinons quels sont ceux qui demandent, à qui ils demandent, ce qu’ils demandent. Quels sont ceux qui demandent ? Des hommes. À qui demandent-ils ? À des hommes. Quels sont ceux qui demandent ? Des mortels. À qui demandent-ils ? À des mortels. Quels sont ceux qui demandent ? Des êtres fragiles. À qui demandent-ils ? À des êtres fragiles. Quels sont ceux qui demandent ? Des malheureux. À qui demandent-ils ? À des malheureux. Si l’on ne tient pas compte de la richesse, ceux qui demandent sont semblables à ceux qu’ils prient. Et de quel front adresseras-tu tes vœux à ton Seigneur, si tu ne reconnais pas tes semblables ? – Je ne leur ressemble pas, diras-tu ; loin de moi de leur ressembler ! – Ainsi parle cet enflé, vêtu de soie, d’un homme en haillons. Mais voyons, dépouillez-vous tous deux et je vous interroge. Je ne veux pas considérer comment vous étiez en naissant. L’un et l’autre vous étiez nus, infirmes l’un et l’autre, commençant une vie de misères et pour cela répandant des, larmes tous deux.
9. Rappelle-toi, riche, les commencements de ta vie, vois si tu as apporté quelque chose dans ce monde. Tu as trouvé beaucoup à ton arrivée ; mais dis-moi, je t’en prie, as-tu apporté quoique ce soit ? Tu crains de parler ? Écoute donc l’Apôtre :

  1. Luc. 18, 1-8
  2. Luc. 11, 5-15
  3. Luc. 18, 1
  4. Mat. 5, 6