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trésor. Ce n’est point perdre, c’est gagner. O hommes, éveillez-vous, maintenant au moins que vous avez expérimenté ce que vous avez à craindre, écoutez et faites ce qui doit vous laisser sans aucune crainte, montez au ciel. Tu mets du blé sur la terre ; voici venir ton ami ; il sait quelle est la nature du blé et quelle est la nature de la terre, il te montre que tu as fait une faute, il le dit : Qu’as-tu l’ais ? Tu as placé ton blé sur la terre, dans un lieu bas ; cet endroit est humide, ton blé pourrit ; tu vas perdre le fruit de tes travaux. – Que faire ? reprends-tu. – Change-le de place, réplique-t-il, mets-le au grenier. Tu suis ce conseil que te donne ton ami quand il s’agit de ton blé, et tu ne tiens pas compte de l’avis que Dieu même te donne quand il est question de ton cœur ! Tu crains de mettre ton blé sur la serre et tu y mets ton cœur pour le perdre ! C’est le Seigneur ton Dieu qui te dit en effet : « Là où est ton trésor, là aussi est ton cœur. » Élève, dit-il, ton cœur au ciel, et ne le laisse pas pourrir sur la terre. Ah ! c’est un conseil pour le conserver et non pour le perdre.
8. Cela étant ainsi, combien se repentent amèrement ceux qui n’ont pas suivi ce conseil ! Que se disent-ils aujourd’hui ? Nous conserverions au ciel ce que nous avons perdu sur, la terre. L’ennemi a forcé l’entrée de nos maisons ; forcerait-il l’entrée du ciel ? Il a tué le serviteur qui gardait nos richesses, tuerait-il également le Seigneur qui nous les conserverait ? « Près de lui le voleur n’a pas accès ni les vers ne corrompent. » Combien s’écrient : Là nous posséderions, là nous garderions nos trésors, pour les suivre bientôt avec sine entière sécurité ! Pour quoi n’avons-nous méprisé les avis de notre Père, si près d’être envahis par un cruel ennemi ? Ah ! mes frères, si c’est là un conseil et ; un bon conseil, ne tardons pas à le suivre ; et si nos biens doivent passer en d’autres mains, transportons-les dans ce sanctuaire où nous ne les perdrons pas. Que sont les pauvres à qui nous faisons l’aumône ? Ne sont-ils pas les portefaix que nous employons à porter nos richesses de la terre au ciel ? Faire l’aumône, c’est donner à ton portefaix, et il monte au ciel ce que tu lui remets – Mais comment, dis-tu, le porte-t-il au ciel ? Ne le vois-je pas manger et consumer ce qu’il reçoit ? Il est vrai, et ce n’est pas en le conservant, c’est en le mangeant qu’il le transporte. As-tu oublié : « Venez, bénis de mon Père, possédez le royaume ; car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger ? » As-tu oublié encore : « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de mes petits, c’est à moi que vous l’avez fait ? » Si tu n’as point repoussé le mendiant, considère à qui a été remis ce que tu as donné. « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de mes petits, dit le Seigneur, c’est à moi que vous l’avez fait. » Ce que tu as donné a donc été reçu par le Christ, par Celui qui t’a donné de quoi donner ; par Celui qui finalement se donnera lui-même à toi [1]. »
9. Déjà, mes fières, j’ai fait cette considération à votre charité ; je l’avoue, c’est une des vérités de l’Écriture dont je suis le plus ému, et je dois vous la rappeler souvent. Réfléchissez donc je vous prie, à ce que dira Notre-Seigneur Jésus-Christ, lorsqu’il viendra pour nous juger à la fin des siècles. Il rassemblera sous ses yeux tous les peuples, il séparera tous les hommes en deux parties, plaçant les uns à sa droite et les autres à sa gauche : Aux premiers il dira : « Venez, bénis de, mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde. » Et aux seconds : « Allez au feu éternel, qui fut allumé pour Satan et pour ses anges. » Pourquoi une telle récompense : « Recevez le royaume ; » et pourquoi un tel supplice : « Allez au feu éternel ? » Pourquoi les uns recevront-ils ce royaume ? « C’est que j’ai eu faim, et vous m’avez donnée à manger. » Pourquoi les autres iront-ils au feu éternel ? « C’est que j’ai eu faim, et vous ne m’avez pas donné à manger[2]. » Méditons cela ; je vous prie. Ceux qui doivent recevoir le royaume, je le remarque, ont donné comme de bons et fidèles chrétiens ; ils n’ont pas dédaigné les enseignements du Seigneur et ils ont donné en espérant avec une ferme confiance l’accomplissement de ses promesses ; s’ils n’avaient pas agi de la Sorte, leur stérilité n’eût pas été en rapport avec la régularité de leur vie. Sans doute ils étaient chastes, ne trompaient personne, ne s’adonnaient pas au vin et s’abstenaient de toute action mauvaise. En n’ajoutant pas à cela les bonnes œuvres, ils n’en fussent pas moins demeurés stériles ; Ils auraient observé le précepte : « Abstiens-toi du mal ;[3] » mais non cet autre. « Et fais le bien ». Le Christ toutefois ne leur dit pas : Venez, recevez le royaume, car vous avez été chastes, vous n’avez trompé personne, vous n’avez opprimé personne, vous n’avez pas envahi les droits d’autrui et nul n’a

  1. Voir ci-dessus Serm. 18, n. 4 ; Serm. 38, n. 9
  2. Mat. 21, 31-42
  3. Psa. 33, 15