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oui ; peut-être non : tu ne sais donc ce qui arrivera ; et n’est-ce pas s’agiter en vain ? Ainsi tu comprends combien est vrai le langage de la Vérité et combien s’agite vainement la vanité. Tu le comprends, tu le saisis ; car en disant : C’est peut-être pour mes fils, et en n’osant dire : C’est assurément pour eux, tu ignores pour qui. Ainsi donc encore, comme je l’exprimais, lit ne sais comment te conduire, tu ne vois pas comment me répondre. Mais à mon tour je ne sais quelle réponse te faire.
5. Par conséquent cherchons tous deux, tous deux demandons conseil. Nous avons pris de nous, non pas un sage mais la Sagesse même. Écoutons le Christ : « Scandale pour les Juifs et folie pour les Gentils, il est pour ceux qui sont appelés, soit Juifs soit Gentils, le Christ de Dieu, la Vertu et la Sagesse de Dieu [1]. » Pourquoi chercher des remparts afin de garder tes richesses ? Écoute la Vertu de Dieu : rien n’est plus fort. Pourquoi chercher des arguments afin de les conserver ? Écoute la Sagesse de Dieu ; rien n’est plus prudent. Si je te parlais de moi-même, peut-être te scandaliserais-tu, peut-être ferais-tu le Juif, car pour le Juif le Christ est scandale. Peut-être encore, si je te parlais de moi-même, mon langage te paraîtrait-il folie et ferais-tu le Gentil, puisque le Christ est folie pour les Gentils. Mais tu es Chrétien, tu es appelé ; et pour ceux qui sont appelés, Juifs ou Gentils, le Christ est la Vertu et la Sagesse de Dieu. Ne prenez pas en mal ce que je dirai, ne vous en scandalisez pas, n’insultez point avec dérision à ce que vous appelleriez mon extravagance. Prêtons l’oreille. C’est le Christ qui a dit ce que je vais répéter. Tu méprises le héraut, crains le juge. Que vais-je donc dire ? Mais le lecteur de l’Évangile vient de m’ôter cet embarras. Je ne lis pas, je rappelle ce quia été lu. Dans la difficulté où tu te trouves, tu demandais conseil. Vois ce que t’apprend la source même du bon conseil, la source qui te jette ses flots sans que tu aies à craindre d’y puiser le poison.
6. « Ne vous amassez point de trésors sur la terre, où la rouille et les vers rongent, et où les voleurs fouillent et dérobent ; mais amassez-vous des trésors dans le ciel, où n’entre pas le voleur, où les vers ne rongent pas. En effet, là où est ton trésor, là aussi est ton cœur[2]. » Qu’attends-tu davantage ? La chose est claire. Le conseil est manifeste ; mais l’avarice se cache, ou plutôt, ce qui est plus déplorable, loin de se cacher elle se découvre. Elle ne cesse ni d’étendre ses rapines, ni de multiplier ses fraudes, ni de se parjurer avec fine infernale malice. Et pourquoi tout cela ? Pour faire des trésors. Et où les placer ? Dans la terre. Il convient en effet que ce qui vient de la terre retourne à la terre. Quand eut péché cet homme à qui nous devons, comme je l’ai dit, la coupe d’amertume, Dieu lui dit : « Tu es terre et tu retourneras en terre[3]. » Il est donc juste qu’ayant le cœur dans la terre tu y mettes ton trésor. Pourquoi dire alors que nous tenons ce cœur élevé vers Dieu ! Vous qui avez compris, gémissez ; et si vous gémissez, corrigez-vous. Pourquoi toujours louer et ne rien faire ? J’ai dit vrai, rien n’est plus vrai que ce que j’ai dit. Agissez donc, en conséquence, nous adorons le vrai Dieu et nous ne changeons pas ! Ici encore ne voulons-nous pas nous agiter en vain ?
7. Ainsi, « ne vous amassez point de trésors sur la terre ; » soit que vous ayez éprouvé déjà comment on perd ce que l’on y cache, soit que ne l’ayant pas éprouvé vous craigniez au moins de le ressentir. Si vous ne profitez, pas des avis, profitez de l’expérience. On ne sort pas, on ne fait pas un pas qu’on n’entende dire de tous cotés ; Malheur à nous ! le monde s’écroule ! S’il s’écroule, pourquoi n’en sors-tu pas ? Si un architecte t’annonçait que ta maison va tomber, n’en sortirais-tu pas avant de te livrer aux murmures ! L’architecte du monde te dit que ce monde va finir, et tu ne le crois pas. Prête l’oreille à ses prédictions, prête l’oreille à ses conseils. Voici sa prédiction : « Le ciel et la, terre passeront ? » Voici son conseil : « Ne vous amassez point de trésors sur la terre.[4] » Si donc tu crois à ces prédictions, si tu ne dédaignes pas ces conseils, fais ce que dit le Seigneur même. Il ne te trompe pas en te donnant a conseil. Tu ne perdras point ce que tu lui offres, tu iras toi-même où tu envoies tes trésors. Je t’en préviens donc : « Donne aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel. » Tu n’en seras point privé ; mais ce que tu gardes avec inquiétude sur la terre, tu le posséderas avec pleine sécurité dans le ciel. Sors, suis mon conseil ; ainsi tu garderas tout sans rien perdre. « Tu auras, dit-il, un trésor dans le ciel ; viens ensuite et suis-moi[5]. » car je te conduis vers ton

  1. 1 Co. 1, 23-24
  2. Mat. 6, 19-21
  3. Gen. 3, 19
  4. Mat. 24, 35
  5. Id. 19, 21