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agneaux dont : il est dit : « Offrez au Seigneur les petits des béliers [1]. » Vous savez qu’il est question de cette vérité dans le. Symbole que vous avez récité, puisqu’entre autres choses vous y avez nominé la rémission des péchés. Or, il y a une rémission des péchés qui ne s’accorde qu’une fois, et il en est une autre qui se fait chaque jour. La rémission des péchés qui ne s’accorde qu’une fois, est celle qui se fait dans le baptême ; l’autre s’octroie durant toute cette vie, pendant qu’on récite l’oraison dominicale. C’est en vue de cette dernière que nous disons : « Pardonnez-nous nos offenses. »
7. Le Seigneur a de plus conclu avec mous un accord, un pacte, un solide contrat, en nous faisant dire : « Comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. » Pour dire avec fruit : « Pardonnez-nous nos offenses », il faut dire avec vérité : « Comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. » En ne prononçant pas ces dernières paroles ou en les prononçant à faux, on prononce inutilement les premières. C’est à vous principalement, à vous qui approchez du saint baptême, que nous disons : Pardonnez tout du fond du cœur. Et vous, fidèles qui profitez de cette occasion pour entendre cette prière et l’explication que nous en faisons, pardonnez de bon cœur tout ce que vous avez contre autrui ; mais pardonnez là même ors pénètre l’œil de Dieu. Il arrive quelquefois que l’on pardonne de bouche et non de cœur. On pardonne de bouche, à cause des hommes ; on ne pardonne pas de cœur, parce que l’on ne craint pas les regards de Dieu. Vous, pardonnez entièrement ; quelque ressentiment que vous ayez gardé jusqu’aujourd’hui, au moins aujourd’hui pardonnez tout. Le soleil ne devait pas se coucher sur votre colère, et combien de soleils s’y sont couchés ! Que cette colère s’éteigne enfin. Voici la fête du grand soleil, de ce soleil dont il est dit dans l’Écriture : « Pour vous se lèvera le soleil de justice, et vous trouverez le salut sous ses ailes[2]. » Sous ses ailes, c’est-à-dire sous sa protection. Aussi lisons-nous dans un psaume : « Protégez-moi à l’ombre de vos ailes[3]. » Il est des malheureux qui feront, au jour du jugement suprême, une pénitence tardive, et qui se livreront à une douleur infructueuse. Le livre de la Sagesse nous les montre d’avance. Et que diront-ils au milieu de leurs regrets, parmi les gémissements qui s’exhaleront de leur âme oppressée ? « Que nous a servi l’orgueil ? Que nous a procuré l’ostentation des richesses ? – Ainsi, diront-ils encore, nous avons erré hors des voies de la vérité, la lumière de la justice n’a pas lui à nos yeux, et le Soleil ne s’est pas levé sur nous [4]. » Ce Soleil se lève sur les justes ; quant au soleil visible, Dieu le fait lever chaque jour sur les bons et sur les méchants*[5]. Il appartient aux, justes de voir ce premier Soleil ; ils le portent maintenant par la foi dans leurs cœurs. Si donc tu te fâches, que le soleil visible ne se couche pas sur ta colère. « Que le soleil ne se couche pas sur votre colère, dit l’Apôtre[6] ; » autrement le Soleil de justice se coucherait aussi pour toi et tu resterais dans les ténèbres.
8. Gardez-vous de croire que la colère ne soit rien. « La colère m’a troublé l’œil », dit le prophète. L’œil troublé ne saurait regarder le soleil ; en vain il fait effort, il ne trouve que souffrance sans plaisir. Qu’est-ce que la colère ? Le désir de la vengeance. Quoi ! Un homme veut se venger, et le Christ n’est pas vengé encore, les martyrs ne le sont pas ! La patience divine attend encore que se convertissent les ennemis du Christ, que les ennemis des martyrs se convertissent, et nous, qui sommes-nous donc pour chercher à nous venger ? Eh ! que deviendrions-nous si Dieu cherchait à se venger lui-même ? Jamais il ne nous a manqué, cependant il ne veut pas se venger de nous, et nous qui l’offensons presque chaque jour, nous voulons nous venger ? Pardonnez donc, et pardonnez de bon cœur. Tu es irrité, ne pèche pas. « Fâchez-vous, est-il écrit, mais gardez-vous de pécher[7]. » Fâchez-vous comme hommes, si vous êtes vaincus ; mais gardez-vous de pécher en nourrissant dans le cœur votre colère, ce qui serait la nourrir contre vous et vous exposer à être rejetés loin de la lumière. Oui, pardonnez. Qu’est-ce que la colère ? Un désir de vengeance. Qu’est-ce que la haine ? Une colère invétérée ; car lorsque la colère est invétérée elle porte le nom de haine. C’est ce que semble exprimer le prophète déjà cité. Après avoir dit : « La colère m’a « troublé l’œil ; » il ajoute : « J’ai vieilli au milieu de tous mes ennemis[8]. » Ce qui d’abord n’était que de la colère est devenu de la haine, parce que cette colère a vieilli. La colère est un brin d’herbe, la haine un gros arbre. Parfois nous reprenons un homme qui s’irrite, et dans notre

  1. Psa. 28, 1
  2. Mal. 4, 9
  3. Psa. 16, 2
  4. Sag. 5, 3.8, 6
  5. Mat. 5, 45
  6. Eph. 4, 26
  7. Psa. 4, 5
  8. Psa. 6, 8