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et jeter la paille au feu ; c’est lui qui doit séparer la paille du bon grain, préparer un grenier pour le froment et le feu pour la paille [1]. L’Église sait donc que les pécheurs doivent être jetés à part à la fin des siècles, c’est pourquoi elle les supporte. Les pécheurs et les hommes charnels sont mêlés parmi tous les peuples aux chrétiens spirituels et sont leurs serviteurs, sans que les spirituels soient les leurs ; car ces spirituels profitent de leurs fautes. Attention, mes frères ; je m’expliquerai s’il m’est possible ; que je ne craigne rien et je ne garderai point le silence, je suis pressé de dire ma pensée. Quelques-uns me désapprouveront peut-être ; mais qu’ils me pardonnent, car je crains ; qu’ils pardonnent à ma peur. Le Christ n’a redouté personne, et c’est la crainte du Christ qui nous empêche d’épargner les coupables ; si nous refusions de les contrister, il pourrait bien ne nous épargner pas nous-mêmes. Écoutez avec bienveillance ce que je veux dire et appliquez votre attention tout entière. Jacob et Ésaü ont reçu l’un et l’autre de la rosée du ciel et de la graisse de la terre ; ils ont l’un et l’autre ce que, nous avons dit, ce que nous connaissons, ce que vous connaissez. Mais à Jacob seul il a été promis que les nations le serviraient : dans l’Église universelle en effet les chrétiens charnels ne servent que les spirituels. Comment ? C’est qu’ils les aident à faire des progrès ; et pour ce motif ils en sont appelés les serviteurs. Sans doute ils font ce qui déplaît aux spirituels ; mais ceux-ci profitent de leurs désordres et méritent la couronne de la patience.
33. Que votre sainteté remarque ce que nous disons. Ésaü n’a point reçu les nations en héritage, parce que tous les chrétiens charnels qui sont dans l’Église sont séparés ou près de se séparer. Voilà comment s’est formé le parti de Donat, il vient des chrétiens charnels qui ont de charnelles affections. Ils étaient donc charnels, et soit en cherchant leur propre gloire, soit en manquant de patience, ils ont fait une brèche et sont sortis. Ils tenaient à leur honneur, ils en faisaient grand cas ; ils se sont gonflés d’orgueil, ils ont manqué de patience, c’est-à-dire de charité, car il est écrit : « La charité est patiente, elle souffre tout, elle n’est point envieuse, elle ne s’enfle point, elle n’agit point insolemment[2]. » Aussi quelques bonnes qualités qu’ils eussent d’ailleurs, comme ils manquaient de cette charité sans laquelle rien n’est utile, ils se sont séparés, et c’est à ces hommes charnels que doivent leur origine toutes les hérésies, toutes les divisions, tous les schismes qui se sont produits. Ou bien en effet ces malheureux avaient des idées charnelles, ils se sont faits des images de ces vains fantômes et sont tombés dans l’égarement ; repris par la foi catholique ils n’ont point soutenu la réprimande et sont sortis, entraînés par leur propre poids. Ou bien encore ils sont sortis pour avoir eu des querelles et des inimitiés avec leurs frères. Lesquels se sont ainsi divisés, sinon ceux à qui appartient ce glaive dont il est dit : « Tu vivras avec l’épée ? » Le glaive sans doute peut se prendre dans le bon sens. Nous l’avons dit plus haut : la pierre peut désigner le Christ à cause de sa fermeté et le sot à cause de sa dureté ; le lion désigne aussi le Christ sous un rapport et le diable sous un autre : c’est ainsi que le glaive se prend tantôt en bonne et tantôt en mauvaise part. Or, ce n’est point sans motif qu’il a été octroyé à Ésaü et non à Jacob : il y a ici un mystère, comme il y a un mystère et même un grand mystère dans la servitude, c’est-à-dire dans cette parole : « Tu serviras ton frère. »
34. Ainsi donc, mes frères, les hommes qui se divisent ont en main le glaive de la division ; ils vivent et meurent avec ce glaive. Mais « qui frappe avec l’épée, périra par l’épée » dit le Seigneur [3], et cette sentence est vraie. Aussi voyez, mes frères, en combien de lambeaux se sont-ils déchirés après avoir rompu avec l’unité. Vous connaissez combien il y a de partis dans le parti même de Donat, et votre sainteté n’ignore pas non plus, je présume, que là aussi périt par l’épée quiconque frappe avec l’épée. A lui donc s’applique : « Tu vivras avec ton épée. » Ainsi en est-il de ceux qui sans avoir quitté l’Église vivent comme s’ils étaient dehors. C’est en être comme séparé que d’y tenir à son propre honneur. Car ceux qui aiment dans l’Église tes commodités du siècle en sont la, paille ; s’ils ne volent pas fin de l’aire, c’est que le vent ne souffle point ; pour tout dire en un mot : la tentation fait défaut, c’est pourquoi ils restent. Voyez d’ailleurs avec quelle facilité ils rompent !

  1. Mt. 3, 13
  2. 1 Cor. 13, 7, 4
  3. Mt. 26, 52