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plus, s’il est puissant, à ta vie. Peut-il comme toi nuire à ton âme ? Atteignez à cette vertu ; mes chers amis, je vous y engage. Mais puis-je vous en faire la grâce ? Celui-là seul vous l’a faite à qui vous dites : « Que votre volonté s’accomplisse sur la terre comme au ciel. » Ne croyez pas cependant la chose impossible ; je sais et je sais par moi-même qu’il est des chrétiens qui aiment leurs ennemis. Si néanmoins vous estimiez ce devoir au-dessus de vos forces ; vous ne l’accompliriez pas. Mais persuadez-vous d’abord qu’il est possible de l’accomplir ; priez ensuite pour que la volonté divine s’exécute en vous. Que te sert d’ailleurs le mal de ton ennemi ? Il ne serait pas ton ennemi s’il n’y avait point de mal en lui. Désire-lui du bien, qu’il n’y ait plus de mal en lui, et il cessera de t’être opposé. Ce n’est pas en effet la nature humaine ; c’est la faute qui dans sa personne est ton ennemie. Est-il ton ennemi pour avoir une âme et un corps ? Il est ce que tu es tu as une âme, il en a une ; un corps, ii en a un ; il est de même nature que toi, formé de la même argile, animé du même souffle divin : Il est ce que tu es ; regarde en lui ton frère. N’avons-nous pas les deux mêmes premiers parents, le même père et la même mère, Adam et Eve ? Donc nous sommes frères. Mais laissons là cette première origine. Nous avons également Dieu pour père et l’Église pour mère ; donc à ce titre encore nous sommes frères. – Mais mon ennemi est un païen, un Juif, un hérétique, un de ceux pour qui j’ai dit : « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel. » – O Église, Église, ton ennemi est un païen, un Juif, un hérétique ; il est donc terre. Et toi, si tu es ciel, implore ton Père qui est dans les cieux, et prie pour tes ennemis. Saul était aussi un ennemi de l’Église, on pria pour lui de cette manière et il devint un ami : Non-seulement il cessa de la persécuter, il travailla encore à la soutenir. Enfin, si tu veux savoir la vérité, on pria contre lui ; mais contre sa méchanceté, non pas contre sa nature. Prie aussi contre la méchanceté de ton ennemi : qu’elle meure et qu’il vive. Si lui-même venait à mourir tu serais son ennemi, mais tu n’aurais pas en lui d’ami ; au lieu que si c’est sa méchanceté qui meurt, en perdant en lui un ennemi tu retrouves un ami.
16. Qui est capable de ce devoir, dites-vous encore, qui l’a accompli ? Ah ! que Dieu mette en vos cœurs ces dispositions. Je le sais, peu d’hommes y sont fidèles ; il n’y a pour l’être que les caractères vraiment grands et spirituels. Doit-on regarder comme tels tous ceux qui dans l’Église s’approchent de l’autel, y reçoivent le corps et le sang du Christ ? Si tous n’ont pas ces sentiments, tous disent néanmoins « Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. » Si Dieu leur répondait alors : Pourquoi me demandez-vous d’accomplir ce que j’ai promis, puisque vous n’accomplissez pas ce que j’ai prescrite Qu’ai-je promis ? De pardonner vos péchés. Qu’ai-je prescrit ? Que vous pardonniez aussi à ceux qui vous ont offensés. Et comment pouvez-vous leur pardonner, si vous n’aimez vos ennemis ! Qu’allons-nous devenir, mes frères ? Le troupeau du Christ va-t-il être réduit à cet extrême petit nombre ? Si pour pouvoir dire : « Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés », il n’y a que ceux qui aiment leurs ennemis, que vais-je faire ? que vais-je dire ? Vous dirai-je : Puisque vous n’aimez pas vos ennemis, ne priez pas ? Dieu m’en garde, – je dirai plutôt : Priez afin d’obtenir de les aimer, Vous dirai-je au moins : Puisque vous n’aimez pas vos ennemis, omettez ces paroles de l’oraison dominicale : « Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ? » Qui supposera que je parle ainsi ? En ne prononçant pas ces mots, vous n’êtes point pardonnés ; et en les prononçant sans faire ce qu’ils disent, vous ne l’êtes pas non plus. Pour obtenir le pardon, il faut donc prononcer et faire.
16. Voici un motif de consolation que je puis offrir, non pas au petit nombre, mais à la multitude des chrétiens, et je sais combien vous désirez l’entendre. « Pardonnez afin qu’on vous pardonne », a dit le Christ[1]. Et vous, que dites-vous dans la prière que nous expliquons ! « Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. » Pardonnez-nous, Seigneur, comme nous pardonnons. C’est-à-dire : ô Père qui êtes aux cieux ; pardonnez-nous nos péchés comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. Voici en effet ce que vous devez faire, sous peine de vous perdre : pardonnez aussitôt que votre ennemi vous demande pardon. Est-ce encore trop pour vous ? C’était beaucoup pour toi d’aimer

  1. Lc. 6, 37