Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/272

Cette page n’a pas encore été corrigée

la mort de tes ennemis ? N’as-tu pas entendu, n’as-tu pas lu, dans le psaume prophétique où il est question de l’affreux traître Judas, cette prédiction qui le concerne : « Que sa prière même devienne un crime [1] ? » Crois-le donc, si tu souhaites le malheur de tes ennemis, ta prière aussi deviendra une iniquité.
3. Peut-être avez-vous pensé, en lisant les psaumes, que l’auteur sacré y fait souvent des imprécations contre ses adversaires. Sans aucun doute, dit-on, celui qui parle dans ces cantiques est un homme juste : mais pourquoi appelle-t-il de si grands maux sur la tête de ses ennemis ? Il n’appelle pas le mal, il le prévoit ; il fa.t des prédictions et non des imprécations. Ces auteurs inspirés connaissaient d’avance le bien et le mal qui devaient arriver à celui-ci, à celui-là ; et ils le prédisaient simplement sous une forme optative. Mais toi, sais-tu si celui à qui tu désires du mal, ne sera pas bientôt meilleur que toi ? – Je sais qu’il est pécheur, reprends-tu. – Ne sais-tu pas que tu l’es aussi ? Tout en osant attribuer à autrui des dispositions que tu ignores, tu sais sûrement que tu es pécheur. N’entends-tu pas l’Apôtre dire de lui-même : « J’étais auparavant persécuteur, blasphémateur et outrageux ; mais j’ai obtenu miséricorde, parce que j’ai agi par ignorance, dans l’incrédulité[2] ? » Quand donc cet Apôtre persécutait les chrétiens, les enchaînait partout où il les trouvait et les conduisait devant les tribunaux pour les faire châtier, l’Église alors, mes frères, priait-elle pour lui ou contre lui ? Instruite par son Seigneur, qui disait du haut de la croix où il était suspendu « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font[3] », l’Église demandait pour Paul, ou plutôt pour Saul, le changement qui s’est produit. « J’étais dit-il lui-même, inconnu de visage aux Églises de Judée qui croient au Christ. Seulement elles avaient oui dire : Celui qui naguère nous persécutait annonce main« tenant la foi qu’il s’efforçait de détruire ; et elles glorifiaient Dieu à mon sujet[4]. » Pourquoi auraient-elles glorifié Dieu si auparavant elles n’avaient imploré la conversion de leur persécuteur ?
4. Notre-Seigneur commence par supprimer les longs discours ; il ne veut pas qu’on multiplie devant Dieu les paroles, comme si par ce moyen on cherchait à l’instruire. Ce qu’il faut dans la prière, c’est là piété et non la loquacité. « Car votre père sait vos besoins avant que vous l’imploriez. » Puisqu’il sait vos besoins, ne parlez donc pas beaucoup. Mais s’il tonnait nos besoins, dira ici quelqu’un, pourquoi parler peu ou beaucoup ? pourquoi prier ? Il sait ce qui nous est nécessaire, qu’il nous le donne. – Non, mais il veut que tu pries pour accorder à tes désirs, et pour éloigner le mépris de ses dons. C’est lui d’ailleurs qui inspire ces désirs, et l’oraison dominicale enseignée par lui en est la forme. Il n’est permis de demander que ce qui y est exprimé.
5. « Dites donc, ce sont ses paroles : Notre Père qui êtes aux cieux. » Ainsi, vous en êtes témoins, vous commencez à avoir Dieu pour Père. Mais après votre régénération il sera réellement votre Père, et maintenant même, avant votre naissance spirituelle, vous êtes conçus par sa vertu dans le sein de l’Église, qui doit vous enfanter sur les fonts sacrés. « Notre Père, qui êtes aux cieux. » Souvenez-vous donc que vous avez un Père dans les cieux, souvenez-vous qu’issus d’Adam pour mourir, vous devez être régénérés par Dieu pour vivre. Et ce que vous dites, dites-le du rond du cœur. Priez avec affection, et vous serez réellement exaucés.« Que votre nom soit sanctifié. » Pourquoi de mander que le nom du Seigneur soit sanctifié ! N’est-il pas saint ? Pourquoi prier pour ce qui est déjà saint ? De plus, en demandant que ce nom soit sanctifié, ne sembles-tu pas implorer Dieu pour lui-même et non pour toi ? – Mais comprends bien et tu verras que c’est aussi prier ; pour toi. Que demandes-tu en effet ? Que ce qui en soi est toujours saint, soit sanctifié en toi-même. Qu’est-ce à dire : soit sanctifié ? Soit traité comme étant saint et ne soit pas méprisé. Tu vois ainsi que cette prière te regarde. Car le mépris que tu ferais du nom divin serait un malheur pour toi et non pour Dieu.
6. « Que votre règne arrive. » A qui parlons-nous ? Et si nous ne faisions pas cette demande, est-ce que le règne de Dieu n’arriverait pas ! Mais il est ici question du règne qui suivra latin des siècles. Dieu en effet règne toujours, et obéi par toutes les créatures, il n’est jamais sans empire. Le règne donc que tu désires, c’est celui dont il est écrit dans l’Évangile. « Venez, bénis de mon Père, recevez l’empire qui vous a été préparé dès le commencement des siècles. » Voilà le règne dont tu dis : « Que votre règne arrive. » Nous demandons à la fois, et que ce règne s’établisse en nous et qu’en lui nous ayons

  1. Ps. 108, 7
  2. 1 Tim. 1, 13
  3. Lc. 23, 34
  4. Gal. 1, 22-24