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ce qui fait le sujet de ses louanges, c’est-à-dire se rendre lui-même digne d’éloges. Remarquez aussi qu’après ces mots : « Plaisez à tous en toutes choses, comme en toutes choses je plais à tous », l’Apôtre ne s’arrête pas. C’eût été indiquer en quelque sorte qu’il n’avait d’autre intention que de plaire aux hommes, et Il lui eût été impossible dédire sans mensonge « Si je plaisais ainsi aux hommes, je ne serais point le serviteur du Christ. » Il fait donc connaître aussitôt pourquoi il plaît aux hommes. « Ne cherchant pas, dit-il, ce qui m’est avantageux, mais ce qui l’est au grand nombre pour leur salut[1]. » Ainsi donc, il ne plaisait pas aux hommes, pour son propre avantage, t’eût été n’être pas serviteur du Christ ; et il leur plaisait pour leur salut, afin d’être ainsi pour le Christ un dispensateur fidèle. Sa conscience lui suffisait devant Dieu ; et devant les hommes éclatait en lui ce que les hommes devaient imiter.


SERMON LV. SE DOMPTER SOI-MÊME[2].

ANALYSE. – Pour échapper à la damnation ; il est nécessaire de dompter sa langue. Nul de nous cependant ne saurait la dompter. Donc il faut recourir à bleu, qui le peint sans aucun doute. Mais il faut nous abandonner à lui avec confiance, car il né veut nous dompter que pour nous rendre heureux.


1. Le passage que nous venons d’entendre lire dans le saint Évangile, a dû nous glacer de frayeur si nous avons la foi ; il faudrait ne pas l’avoir pour ne pas trembler. Ceux qui ne tremblent pas veulent jouir d’une fausse sécurité ; ils ne savent point, hélas ! distinguer entre le temps où l’on doit craindre et le temps où l’on doit ne craindre pas. Maintenant donc que l’on mène une vie qui doit finir, il faut s’effrayer pour jouir dans l’autre vie d’une assurance qui ne finira point. Aussi nous avons tremblé. Qui d’ailleurs ne redouterait la vérité même quand elle s’écrie : « Quiconque dira à son frère « Fou, sera condamné à la géhenne du feu[3] ? » Aucun homme en effet ne peut dompter sa langue. L’homme dompte un animal farouche, et il ne dompte point sa langue ; il dompte un lion et il ne dompte point sa parole ; il dompte, mais ne se dompte pas ; il dompte ce qu’il craint ; et quand il s’agit de se dompter, il ne redoute point ce qu’il faudrait craindre par-dessus tout. Ainsi qu’arrive-t-il ? Cette sentence éminemment vraie est sortie de l’oracle de la vérité même : « Nul homme ne saurait dompter sa langue[4].
2. Que ferons-nous donc, mes frères ? Je vois ici une multitude ; mais comme nous sommes tous un en Jésus-Christ, délibérons en quelque sorte secrètement. Aucun étranger ne nous entendra ; nous sommes un, car nous sommes unis. Que faire ? « Quiconque dira à son frère : Fou, sera condamné à la géhenne du feu. – Nul homme ne saurait dompter sa langue. » Tous iront donc à la damnation ? À Dieu ne plaise ! « Seigneur, vous êtes devenu notre asile, de génération en génération[5]. » Votre colère est juste, et vous ne perdez personne injustement. « De devant votre « esprit et de devant vous, où fuir, où aller, si ce n’est vers vous[6] ? Ainsi comprenons mes amis, que si nul homme ne peut dompter sa langue, il faut pour la dompter recourir à Dieu. En vain d’ailleurs essayerais-tu de la dompter, tu ne le pourras, car tu n’es qu’un homme. « Nul homme ne saurait dompter sa langue. » Soyez attentifs à cette comparaison tirée des bêtes farouches que nous domptons. Un cheval ne se dompte pas ; un chameau ne se dompte pas ; un éléphant ne se dompte pas ; un aspic ne se dompte pas ; un lion ne se dompte pas : c’est ainsi que l’homme ne saurait non plus se dompter. Pour dompter un cheval ; un bœuf, un chameau, un éléphant ; un lion, an aspic, on recourt à l’homme. Pour dompter l’homme, qu’on recoure donc à Dieu.
3. Aussi, « Seigneur, vous êtes notre recours. » Nous recourons à vous et là nous serons bien. Nous faisons en nous-mêmes notre malheur. Pour nous punir de vous avoir laissé, vous nous laissez à nous. Ah ! retrouvons-nous en vous, car en

  1. 1 Cor. 10, 33
  2. Mt. 5, 22
  3. Ibid
  4. Jac. 3, 7-8
  5. Ps. 89, 1
  6. Ps. 138, 7