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qu’il nous aide à entendre ces devoirs et ces récompenses, à saisir comment les uns répondent aux autres. Quelle est en effet la récompense qui ne convienne, qui ne soit proportionnée au mérite ? Les humbles semblent exclus du royaume, et il est dit : « Bienheureux les pauvres de gré, le royaume des cieux est à eux. » On exproprie facilement ceux qui sont doux ; et il est dit : « Bienheureux ceux qui sont doux, car ils auront la terre en héritage. » Le reste est clair, évident, il se révèle de lui-même et il faut, non pas l’expliquer, mais le rappeler. « Bienheureux ceux qui pleurent. » Qui ne désire la consolation quand il pleure ? « Ils seront consolés. – Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice. »
Qui ne désire être rassasié quand il a faim et soif ? Aussi « seront-ils rassasiés. — « Bienheureux les miséricordieux. » Qui fait miséricorde, sinon celui qui même en l’exerçant demande que Dieu le paie de retour et fasse pour lui ce que lui-même fait pour le pauvre ? « Bienheureux » donc « les miséricordieux, car Dieu leur fera miséricorde. » Voyez continent tout se correspond, comment la nature de la récompense est appropriée à la nature du précepte. Il est prescrit d’être pauvre de gré ; la récompense est de posséder le royaume des cieux. Il est prescrit d’être doux ; la récompense est de posséder la terre. Il est prescrit de pleurer ; la récompense est d’être consolé. Il est : prescrit d’avoir faim et soif de la justice ; la récompense est d’en être rassasié. Il est prescrit d’être miséricordieux ; la récompense est d’obtenir miséricorde. De même il est prescrit d’avoir le cœur pur ; et la récompense est de voir Dieu.
9. Garde-toi donc de raisonner sur ces préceptes et sur ces récompenses de la manière suivante. Quand on le dit : « Bienheureux les cœurs purs, car ils verront Dieu », ne t’imagine point que la vue de Dieu ne sera octroyée ni aux pauvres de gré, ni à ceux qui sont doux, ni à ceux qui pleurent, ni à ceux qui ont faim et soif de la justice, ni à ceux qui sont miséricordieux. Ne te figure point qu’il n’y aura pour le voir que les cœurs purs et que les autres en seront privés. En effet, ceux qui ont le cœur pur ont aussi tous les autres mérites ; mais s’ils voient Dieu, ce n’est ni pour être pauvres de gré, ni pour être doux, ni pour pleurer, ni pour avoir faim et soif de la justice, ni pour être miséricordieux ; c’est pour avoir le cœur pur. C’est comme, si l’on rapprochait des membres du corps les actions auxquelles ils sont propres, comme si l’on disait, par exemple : Heureux ceux qui ont des pieds, car ils marcheront ; heureux ceux qui ont des mains, car ils travailleront ; heureux ceux qui ont de la voix, car ils crieront ; Heureux ceux qui ont une bouche et une langue, car ils parleront ; heureux ceux qui ont des yeux, car ils verront. En nous donnant en quelque sorte des membres spirituels, le Sauveur a indiqué à quoi chacun est propre. L’humilité est propre a posséder le royaume des cieux ; la douceur, à posséder la terre ; les larmes, à recevoir la consolation ; la faim et la soif de la justice, à être rassasiés ; la miséricorde, à obtenir miséricorde ; le cœur pur enfin, à voir Dieu.
10. Si donc nous aspirons à voir Dieu, comment purifier cet œil intérieur ? Qui ne s’appliquerait, qui ne chercherait à purifier son cœur pour voir Celui qu’il aime de toute son âme ? Une autorité divine nous dit par quel moyen : « C’est par la foi, déclare-t-elle, qu’il purifie leurs cœurs [1]. » La foi en Dieu purifie donc le cœur, et le cœur purifié voit Dieu. Il est vrai, des malheureux qui se trompent eux-mêmes se font de la foi une étrange idée : ils se figurent qu’il suffit de croire ; car il en est qui tout en vivant mal se promettent, parce qu’ils croient, d’arriver à la vision de Dieu et au royaume des cieux. Mais l’Apôtre saint Jacques s’enflamme contre eux dans son Épître, et rempli d’une charité toute céleste : « Tu crois qu’il y a un Dieu », leur dit-il avec une sainte indignation. Tu t’applaudis de ta foi ; tu considères qu’un grand nombre d’impies croient à la pluralité des dieux et tu es heureux de croire qu’il n’y en a qu’un. « C’est bien. Mais les démons croient aussi, et ils tremblent[2]. » Ces démons verront-ils Dieu ? Les cœurs purs le verront. Mais qui oserait appeler des cœurs purs ces esprits immondes ? « Ils croient » néanmoins, « et ils tremblent. »
11. Il faut mettre de la différence entre notre foi et la foi des démons. La nôtre purifie le cœur, la leur les rend coupables, car ils font le mal et c’est pourquoi ils disent au Seigneur : « Qu’y a-t-il entre vous et nous ? » Tu crois peut-être, en les entendant parler ainsi, qu’ils ne le connaissaient pas ? » Nous savons, disent-ils, qui « vous êtes ; vous êtes le Fils de Dieu[3]. » Pierre est comblé d’éloges, quand il lui donne ce titre ; le démon le donne aussi, et il est condamné. D’où

  1. Act. 15, 9
  2. Jac. 2, 19
  3. Lc. 4, 34