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alors ces mots : « Mon Père, qui demeure en moi, fait lui-même mes œuvres[1] ? » Ce que nous venons de dire était clair, il n’y avait qu’à l’énoncer ; aucun effort n’était nécessaire pour le comprendre, il suffisait de le rappeler.
15. Je veux vous dire encore quelque chose ; et ici je vous demande véritablement l’attention la plus active et l’union de vos cœurs avec Dieu. L’espace ne contient que des corps, au-delà de l’espace est la divinité, il ne faut donc pas la chercher comme si elle était un corps. Elle est partout invisible et inséparable, sans avoir ici ou là plus ou moins d’étendue ; car elle est partout tout entière, indivisible partout. Qui voit ce mystère ? Qui le comprend ? Modérons-nous ; rappelons-nous qui nous sommes et de quoi nous parlons. Quelles que soient les perfections divines, croyons-les avec piété, méditons-les avec respect, et comprenons autant que nous en sommes capables, autant qu’il nous est donné, ce qui est ineffable. Ici point de paroles, point de discours ; c’est le cœur qu’il faut exciter et élever vers Dieu. Ce n’est pas à Dieu de monter dans le cœur de l’homme, mais au cœur de l’homme de monter en Dieu. Étudions la créature : « Les invisibles perfections de Dieu, rendues compréhensibles par les choses qui ont été faites, sont devenues visibles[2]. » Dans ces œuvres de Dieu au milieu desquelles nous vivons, ne pourrait-on découvrir quelque ressemblance, quelque objet qui nous montre trois choses bien distinctes, mais dont les opérations sont inséparables ?
16. Allons, mes frères, appliquez-vous de tout votre cœur. Rappelez-vous d’abord quel est mon dessein ; comme le Créateur est infiniment élevé au-dessus de nous, je veux savoir si dans la créature je ne trouverai pas quelque similitude. Au moment où la vérité brille comme un éclair dans son esprit, quelqu’un d’entre nous pourrait peut-être s’approprier ces paroles : « J’ai dit dans le transport de mon âme », Et qu’as-tu dit dans ce transport de ton âme ? « J’ai été rejeté de devant vos yeux[3]. » Il me semble en effet que celui qui parlait ainsi avait élevé son âme vers Dieu, qu’en s’entendant demander chaque jour « Où est ton Dieu[4] ? » il avait répandu son âme au-dessus d’elle-même, que d’une manière toute spirituelle il avait atteint à la Lumière immuable, sans que sa faiblesse en pût supporter la vue ; il retombe alors de tout son poids sur son infirmité, et se mesurant avec cette vive splendeur de la sagesse divine, il sent que le regard de son esprit ne peut la supporter encore. C’est dans le transport de l’âme qu’il a vu tout cela, quand élevé au-dessus de la vie des sens il était ravi en Dieu. Mais quand il quitte Dieu en quelque sorte pour rentrer en lui-même, il s’écrie : « J’ai dit dans le transport de mon âme ; » j’ai vu alors je ne sais quoi ; il m’a été impossible de le supporter longtemps ; et revenu à ce corps mortel qui appesantit l’âme et aux mille soucis des choses périssables qui naissent de lui, j’ai dit. Quoi ? « Je suis rejeté de devant vos yeux ; » vous êtes trop haut et je suis trop bas. Que pouvons-nous donc dire de Dieu, mes frères ? Si l’on comprend ce que l’on veut dire de lui, ce n’est pas lui ; ce n’est pas lui que l’on peut comprendre, c’est autre chose en place de lui ; et si l’on croit l’avoir saisi lui-même, on est le jouet de son imagination. Il n’est pas ce que l’on comprend ; il est ce que l’on ne comprend pas ; et comment vouloir parler de ce que l’on ne saurait comprendre ?
17. Cherchons par conséquent si nous ne découvrirons pas dans la créature trois choses qui s’énoncent séparément et qui agissent d’une manière inséparable. Mais où aller ? Au ciel pour y considérer le soleil, la lune et les autres astres ? Sur terre pour y étudier les – végétaux, les plantes et les animaux qui la remplissent ? Faut-il envisager le ciel même et la terre qui comprennent tout ce que nous y voyons ? Mais pourquoi, ô homme, chercher ainsi dans la créature ? Rentre en toi-même, considère-toi, étudie-toi, examine-toi en personne. Tu veux trouver dans la créature trois choses qui s’énoncent séparément, tout eu agissant d’une manière inséparable ; s’il en est ainsi, contemple-toi d’abord. N’es-tu pas une créature ? Tu veux une comparaison, la chercheras-tu parmi les bestiaux ? C’est de Dieu qu’il est question, lorsque tu cherches cette similitude ; c’est de l’ineffable Trinité de la Majesté suprême ; et parce que tu es trop au-dessous de ce qui est divin, parce que tu as dû avouer humblement ton impuissance, tu t’es rabattu sur ce qui est humain ; c’est donc sur ceci que tu dois arrêter ta pensée. Pourquoi chercher parmi les troupeaux, dans le soleil ou les étoiles ? Lequel de ces êtres est formé à l’image et à la ressemblance de Dieu ? Il y a en toi quelque chose de bien préférable

  1. Jn. 14, 10
  2. Rom. 1, 20
  3. Ps. 30, 23
  4. Ps. 41, 4,11