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davantage peuvent insister auprès de Celui qui nous donne à nous-même ce que nous pouvons saisir et expliquer. Retenez par-dessus tout qu’il ne faut ni se troubler quand on n’entend pas encore l’Écriture, ni s’enfler d’orgueil quand on l’entend ; il faut au contraire ajourner avec respect ce que l’on ne comprend pas, et ce que l’on comprend le garder avec amour.


SERMON LII. LA SAINTE TRINITÉ[1].

ANALYSE. – On venait de lire dans l’Évangile l’histoire du Baptême de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Saint Augustin saisit cette occasion, qu’il regarde comme toute providentielle, pour démontrer comment les trois personnes divines sont inséparables. Au Baptême du Sauveur on les croirait séparées ; mais en réalité elles sont inséparables dans toutes leurs opérations, comme l’Écriture le prouve et comme on peut s’en faire une idée en interrogeant les opérations de l’âme humaine.

— 1° L’Écriture nous montre en effet que la création et le gouvernement de l’univers sont dus au Père, au Fils et par conséquent au Saint-Esprit. Si le Fils seul est né, si seul il a souffert, s’il est seul ressuscité et monté aux cieux ; sa naissance et sa passion, sa résurrection et son ascension sont l’œuvre de son Père comme la sienne. Ainsi en est-il de ses miracles et de tout ce qu’il a fait. – 2° on peut se former une idée de ce mystère en considérant, non pas la nature matérielle, mais l’âme spirituelle de l’homme. N’y a-t-il pas dans cette âme trois facultés distinctes : la mémoire, l’entendement et la volonté ? Ces facultés sont toutefois si inséparables dans leurs actes, qu’on ne peut nommer une seule d’entre, elles sans le concours des trois ensemble. Saint Augustin proteste qu’il ne veut pas établir ici de comparaison entre ces trois facultés et les trois divines Personnes. Mais si la créature nous présente une telle simultanéité d’action, pourquoi nous étonner de rencontrer ce phénomène dans la Trinité créatrice ?

1. La lecture de l’Évangile vient de nous faire connaître, en quelque sorte par l’ordre du Seigneur, ou plutôt et véritablement par son ordre, de quel sujet nous devons entretenir votre Charité. Mon cœur attendait de lui le mot d’ordre ; je sentais qu’il me commandait de parler de ce qu’il voudrait qu’on récitât. Que votre zèle et votre piété se montrent donc attentifs ; aidez auprès du Seigneur notre Dieu le travail de mon esprit. Voici sous nos yeux comme un divin spectacle ; sur les rives du Jourdain notre Dieu se révèle à nous dans sa Trinité sainte. Jésus vient et il est baptisé par saint Jean ; le Seigneur reçoit le baptême du serviteur afin de nous donner un exemple d’humilité, car l’humilité est la plénitude de la justice ; lui-même l’a enseigné, quand à ces paroles de Jean : « C’est moi qui dois être baptisé par vous, et c’est vous qui venez à moi ! » il répondit : « Laisse maintenant, afin d’accomplir toute justice. » Lors donc que Jésus fut baptisé, les cieux s’ouvrirent, et l’Esprit-Saint descendit sur lui en forme de colombe. On entendit ensuite cette voix d’en haut : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis mes affections. » Ne voyons-nous pas ici la Trinité distinctement ? Dans la voix nous entendons le Père, nous adorons le Fils dans l’homme qui reçoit le baptême, et l’Esprit-Saint dans la colombe. Il suffit de le rappeler ; rien n’est plus facile à saisir. Quoi de plus évident ? Quoi de plus indubitable ? C’est bien ici la Trinité. En effet, celui qui vient vers Jean sous la forme de serviteur, Jésus-Christ Notre-Seigneur est sûrement le Fils de Dieu ; on ne peut dire qu’il soit ni le Père ni l’Esprit-Saint. « Jésus vint, » dit le texte sacré ; c’est sans aucun doute le Fils de Dieu. D’un autre côté, qui peut hésiter à propos de la colombe ? Qui peut demander ce qu’elle est, quand l’Évangile dit expressément : « L’Esprit-Saint descendit sur lui en forme de colombe ? » On ne saurait douter non plus que la voix ne fût celle du Père, puisqu’elle dit : « Vous êtes mon Fils [2]. » La Trinité est donc ici distincte.

2. J’ose même dire, en considérant l’espace, j’ose dire, quoique je le fasse en tremblant, que cette auguste Trinité est en quelque sorte séparable. Jésus en venant vers le fleuve se transportait d’un lieu dans un autre ; la colombe en descendant du ciel sur la terre allait aussi d’un lieu à l’autre ; et la voix du Père ne se faisait entendre ni de dessus la terre, ni du sein des eaux, mais du haut du ciel. Il y a donc ici comme une triple séparation de lieux, de fonctions et d’œuvres. Mais, me dira-t-on, montre plutôt que la Trinité est inséparable. Souviens-toi que tu es catholique et que tu parles à des catholiques. Tel est en effet l’enseignement de notre foi, c’est-à-

  1. Mrc. 3, 13
  2. Mrc. 1, 11