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il ne l’est pas ; on le désigne même sous le nom de veau réservé au sacrifice et il est tout autre chose. Or c’est ainsi qu’on dit artifice ce qui n’est point artifice. Pourquoi dit-on artifice ce quine l’est point ? Cherchons. Et d’abord examinons pourquoi toutes ces autres dénominations. Pourquoi désigne-t-on le Sauveur sous le nom de lion ? à cause de sa force. Sous le nom de pierre ? à cause de sa fermeté. D’agneau ? à cause de son innocence. De veau même ? parce qu’il est victime. De montagne ? à cause de sa grandeur. De manne ? à cause de sa douceur. Pourquoi aussi a-t-on dit artifice ? Examinons la nature même de l’artifice et nous comprendrons pourquoi on en a donné le nom à ce qui ne l’est pas. Nous savons ce que c’est qu’une pierre. Toutefois nous disons également d’un homme sot et, dur qu’il est une pierre, et d’un homme robuste et inébranlable, qu’il est aussi une pierre : pour louer, nous considérons dans la pierre sa fermeté, et pour blâmer sa dureté. Nous connaissons cette fermeté de la pierre, c’est pourquoi nous disons : « La pierre était le Christ [1]. » Le lion est pour nous un symbole de force ; cependant le démon lui-même est appelé un lion. Mais que voyons-nous dans l’artifice qui nous permette de le prendre comme figure, de la même manière que nous prenons dans ce sens et lion, et agneau, et pierre, et le reste ?
23. Qu’est-ce que l’artifice ? L’artifice consiste à faire une chose en en simulant une autre. Il y a donc artifice quand l’intention est différente de l’action. Considéré dans le sens propre l’artifice est ainsi répréhensible, comme on le serait si prenant le mot pierre dans le sens propre on disait que le Christ est une pierre ; car ce serait un blasphème. Qui oserait également blasphémer jusqu’à appliquer au Christ, dans le sens propre, la dénomination de veau ? Ce terme désigne proprement un animal ; au figuré c’est une victime. Ainsi au propre la pierre est une terre durcie, tandis qu’au figuré c’est la fermeté.A la lettre l’artifice est une fraude ; au', sens métaphorique, c’est une figure proprement dite. En effet toute figure et toute allégorie semblent dire à l’esprit autre chose que ce qu’elles, disent aux oreilles ; c’est pourquoi l’action figurée pst ici appelée du nom d’artifice. Que signifie donc : « Il est venir artificieusement, et il a ravi ta bénédiction ? » Que ce qui ce faisait était une figure, voilà pourquoi : « Il est venu artificieusement. » Ah ! si Jacob avait trompé, Isaac ne ratifierait point la bénédiction donnée, il devrait la changer en une juste malédiction.L'artifice n’était, donc pas un artifice réel. D’ailleurs Jacob n’avait point menti en disant « Je suis Ésaü, ton fils premier-né. » Celui-ci avait dès lors fait un pacte avec son frère et lui avait vendu ses droits d’aînesse. Jacob se présenta donc à son père comme possédant ce qu’il avait acheté à Ésaü ; il avait acquis ce que celui-ci avait perdu. La dignité du droit d’aînesse n’était point bannie de la maison d’Isaac ; elle y était. Mais elle n’était point dans celui qui l’avait vendue. Où donc était-elle, si elle n’était dans le plus jeune des fils ? Instruit mystérieusement de ce fait, Isaac confirma sa bénédiction et dit à Ésaü : « Que puis-je faire pour toi ? » Et celui-ci : « Bénis-moi aussi, mon père ; n’aurais-tu qu’une seule bénédiction [2] ? » Mais Isaac savait n’en avoir qu’une seule.
24. Pourquoi une seule ? L’Esprit-Saint m’aidera à le dire et vous à le comprendre. Examinons ces bénédictions, celle que reçut Jacob et celle que reçut Ésaü. « Es-tu mon fils Ésaü ? » dit Isaac, à Jacob. « Oui, » répondit celui-ci. « Apporte-moi, ajouta Isaac, et je mangerai de ta chasse, mon fils, afin que mon âme te bénisse avant ma mort. Mais donne-moi un baiser. » Il ne baisa point Ésaü : ainsi la bénédiction de Jacob commence par la paix. Pourquoi avoir confirmé cette paix par un baiser ? Parce que lui aussi, supportait pour la paix les péchés d’autrui. « Jacob s’approcha et l’embrassa, et Isaac sentit l’odeur qu’exhalaient ses vêtements. » Car il était couvert de la robe de son frère ; c’est-à-dire qu’il portait la prérogative d’aîné perdue par Ésaü. Ce dont celui-ci avait eu tort de se défaire exhalait dans celui-là une sorte de parfum. « Il sentit l’odeur de ses vêtements et le bénit en disant : voilà que l’odeur qui s’échappe des vêtements de mon fils est comme l’odeur d’un champ rempli, qu’a béni le Seigneur. » Il sent l’odeur du vêtement et il l’appelle l’odeur d’un champ. Vois le Christ au fond de ce mystère et comprends que ce vêtement désigne l’Église du Christ.
25. Votre sainteté le comprendra. Une même chose peut être désignée de différentes manières. Ainsi l’Église signifiée par les deux chevreaux

  1. 1 Cor. 10, 4
  2. Gen. 27, 37, 38