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mais selon la chair qu’il devait à la Vierge Marie, l’épouse de Joseph. Après les avoir entendus répondre que le Christ est fils de David, le Sauveur ajouta : « Comment donc David l’appelle-t-il, en esprit, son Seigneur lorsqu’il dit : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que je mette vos ennemis sous vos pieds ? Et si David l’appelle, en esprit, son Seigneur, comment est-il son fils ? » Mais les Juifs ne purent répondre [1]. Voilà ce que nous lisons dans l’Évangile. En se disant fils de David, il ne voulut pas leur laisser ignorer qu’il était en même temps le Seigneur de ce prince. Ils reconnaissaient au Christ une origine temporelle, ils ne connaissaient pas son éternité. Ainsi pour leur enseigner sa divinité, il soulève une question relative à son humanité. C’est comme s’il eût dit : Vous savez que le Christ est fils de David ; expliquez-moi comment il est aussi son Seigneur. Et pour les empêcher de répondre : Il n’est pas le Seigneur de David, il en appela au témoignage de David même. Et que dit David ? Il dit la vérité, car voici ce qu’on lit dans un de ses psaumes : « Je placerai sur ton trône, lui dit l’Éternel, un fils qui naîtra de toi[2]. » Voilà bien le Christ fils de David. Et comment est-il aussi son Seigneur ? « Le Seigneur, déclare David, a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite[3]. » Pourquoi vous étonner que David ait son fils pour Seigneur quand vous voyez Marie devenue mère de son Dieu ? Il est le Seigneur de David, parce qu’il est Dieu ; son Seigneur, car il est le Seigneur de tous ; et son fils, car il est fils de l’homme. Il est à la fois son Seigneur et son fils ; son Seigneur, car « ayant la nature de Dieu, il n’a pas cru usurper en s’égalant à Dieu ; » et son fils, car « il s’est anéanti lui-même en prenant la nature de serviteur[4]. »
21. Ainsi donc, pour ne s’être pas uni à la mère du Seigneur, Joseph n’en demeure pas moins son père. Est-ce la passion, n’est-ce pas plutôt l’amour conjugal qui constitue l’épouse ? Je prie votre Sainteté de s’appliquer. Un Apôtre du Christ devait dire bientôt dans l’Église : « Il faut que ceux mêmes qui ont des femmes soient comme n’en ayant point[5]. » Et nous savons qu’un grand nombre, de nos frères, pour porter des fruits de, grâce, s’abstiennent au nom du Christ et d’un mutuel consentement, de tout contact charnel, sans renoncer toutefois a la charité conjugale. Plus ils répriment la concupiscence et plus s’accroît leur amitié. Cessent-ils d’être époux en vivant ainsi, en ne demandant rien à la chair, en n’exigeant pas ce que pourrait réclamer la concupiscence ? La femme alors n’en est pas moins soumise à son mari, car ainsi le veut l’ordre même ; elle lui est même d’autant plus soumise qu’elle est plus chaste ; le mari de son côté a pour son épouse un amour véritable, un amour plein de respect de pureté, comme il est écrit [6] ; et il voit en elle une cohéritière de la grâce, et il l’aime « comme le Christ a aimé l’Église[7]. » Si donc il y a union matrimoniale, si cette union n’est pas détruite parce qu’on s’abstient de ce qui peut se faire, quoique illicitement, en dehors du mariage ; et plaise à Dieu que tous soient capables de ce genre de vie, mais il est au-dessus des forces d’un grand nombre ; pourquoi séparer ceux qui peuvent vivre ainsi ? Pourquoi nier qu’il n’y a ni mari ni femme, quand il n’y a point mélange charnel, mais étroite union des cœurs ?
22. Comprenez par là ce que pense l’Écriture de nos pieux ancêtres qui ne cherchaient dans le mariage que la génération d’une postérité. Conformément aux usages de l’époque où ils vivaient et de la nation dont ils faisaient partie, ils possédaient même plusieurs épouses : mais ils étaient si chastes que jamais ils ne s’en approchaient qu’en vue des enfants ; ils avaient pour elles un respect véritable. D’ailleurs, demander à une femme au-delà de ce qu’exige ce besoin de la génération, c’est violer le contrat même du mariage. On lit ce contrat, on le lit en présence de tous les témoins, on y lit cette clause : pour engendrer des enfants ; voilà ce qui fait l’essence de ce qu’on appelle l’acte matrimonial. Eh ! si ce n’était dans ce but qu’on donne et qu’on accepte une épouse, quel père oserait livrer sa fille à la passion d’autrui ? Afin donc d’ôter toute honte aux parents, afin de leur rappeler qu’ils deviennent beaux-pères et non chefs de prostitution, on lit le contrat au moment où ils donnent leur fille. Et qu’y lit-on ? Pour la génération des enfants. Le front du père à ces mots s’éclaircit et devient serein. Et le front de celui qui reçoit cette femme ? Ah ! qu’il rougisse de la prendre pour un autre motif, puisque le père rougit de la lui remettre dans un autre dessein ! Si cependant, nous avons déjà dit cela quelque part, ils ne peuvent se restreindre à cette juste limite,

  1. Mt. 22, 42-46
  2. Ps. 131, 11
  3. Ps. 109, 1
  4. Phil. 2, 6-7
  5. 1 Cor. 7, 29
  6. 1 Thes. 4,4
  7. Eph. 5, 25