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détruits dans les pécheurs qui deviennent après cette sorte de mort, membres du corps unique de l’Église, de l’Église représentée par Pierre lorsqu’il lui fut dit : « Tue et mange [1]. » Ainsi donc l’un des deux fils est tout agreste, l’autre vit paisible à la maison ; celui-là est lainé, celui-ci le plus jeune ; à l’aîné semblaient ; appartenir les bénédictions, elles descendent sur le plus jeune. Elles semblaient réservées à l’aîné, car aux Juifs étaient faites des promesses temporelles ; elles descendent sur le plus jeune, parce qu’elles devaient être entendues dans un sens spirituel et recueillies par les Chrétiens.


20. Or Jacob ne recevrait pas la bénédiction s’il ne portait les péchés qu’il ne commettait plus. Votre sainteté comprendra comment on doit supporter les péchés. Il en est qui croient les supporter et qui n’en parlent pas aux coupables : c’est une dissimulation détestable. Supporte le pécheur, non en aimant le péché qui est en lui, mais en le poursuivant à cause de lui. Aime le pécheur, non pas en tant qu’il est pécheur, mais en tant qu’il est homme. Quand tu aunes un malade, ne travailles-tu pas à chasser sa fièvre ? Épargner la fièvre, ce ne serait pas aimer le malade. Dis donc la vérité à ton frère, sans la dissimuler. Eh ! faisons-nous autre chose que de vous dire la vérité ? Point de mensonge ; parle franchement ; mais supporte en attendant qu’on soit corrigé. Peut-être y a-t-il eu intervalle entre le moment où l’on a tué les chevreaux et celui où on, s’est couvert de leurs dépouilles : mais ce que ces actes signifient peut s’accomplir en même temps ; car tout en reprenant les pécheurs, ce qui est comme égorger les chevreaux, le juste peut supporter avec compassion leurs péchés, ce qui est comme en porter les dépouilles. Jacob a donc dans la mesure de ses forces, immolé le pécheur, égorgé ses chevreaux. Mais il supportait les péchés d’autrui, il les supportait avec patience et il a mérité d’être béni. C’est que la charité supporte tout. Cette charité était dans sa mère, cette mère figurait la charité même. En figurant tous les saints elle figurait la charité, car il n’est aucun saint qui n’ait la charité. De quoi me servira-t-il « de parler les langues des hommes et des anges si je n’ai pas la charité ? Je suis un airain sonnant ou une cymbale retentissante. Et quand j’aurais toute la foi, au point de transporter des montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien. Et quand je connaîtrais tous les mystères et toutes les prophéties ; quand je livrerais mon corps pour être brûlé, si je n’ai point la charité, cela ne me sert de rien [2]. » Qu’est-ce donc que cette charité qui sert beaucoup lorsqu’elle est seule et sans laquelle rien ne profite ? Ainsi c’est la charité qui conseille Jacob ; il obéit parce qu’il est fils de la charité.
21. Quel avis lui donne-t-elle ? Qu’il se couvre des peaux de chevreaux et s’approche de son père. Le père cherche l’aîné et bénit le plus jeune. Ainsi le vieux Testament a en vue les Juifs au sens littéral ; au sens spirituel il bénit les chrétiens. Voici un grand mystère, un grand sacrement ; votre sainteté s’appliquera à le comprendre. « Ton frère est venu artificieusement, » dit Isaac en parlant d’un homme sans artifice. L’esprit prophétique révélait sans doute à Isaac ce qui s’accomplissait et lui-même parlait figurément. Il fait tout avec un profond mystère. S’il ignorait ce qu’il fait, ne s’irriterait-il point contre un fils qui le trompe ? L’aîné arrive ; « Voici, dit-il, mange, mon – père ; j’ai fait ce que tu m’as ordonné. – Qui es-tu, reprend Isaac ? – Je suis, répondit Ésaü, ton fils aîné. – Mais quel est celui qui m’a déjà apporté à manger, que j’ai béni et qui sera béni[3] ? » Il paraissait irrité ; Ésaü attendait de lui quelque malédiction contre son frère ; mais pendant qu’il attend, cette malédiction, Isaac ratifie la bénédiction donnée. Quelle espèce de colère ! quelle indignation ! Isaac connaissait donc le mystère ; l’obscurcissement de sa vue signifiait l’aveuglement des Juifs, mais son regard intérieur plongeait dans la profondeur des mystères.
22. « Ton frère, dit-il, est venu artificieusement et a ravi la bénédiction. » Nous disions Voyez ce que veut dire artificieusement. L’artifice ici n’est point artifice ? Comment l’artifice n’est-il point artifice ? Comment une pierre n’est-elle pas une pierre ? Comment appelle-t-on nier ce qui n’est point mer ? pour signifier autre chose. C’est aussi pour signifier autre chose ; qu’on dit pierre ce qui n’est pas pierre, ainsi qu’on appelle montagne ce qui n’est point une montagne. Le Seigneur Jésus-Christ est appelé Lion de la tribu de Juda, et il n’est pas lion ; on le nomme agneau, et il n’est pas agneau ; brebis et

  1. Act. 10, 13
  2. 1 Cor. 13, 1-7
  3. Gen. 27, 31-33