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c’est par lui que nous l’accomplissons. Nous le prions en vous promettant, et c’est lui qui nous donne de nous acquitter aujourd’hui. Votre charité n’a pas oublié que le matin de la Nativité du Seigneur, nous avons ajourné la solution de la question qui avait été proposée. C’est qu’en effet beaucoup de ceux qu’importune la parole de Dieu célébraient avec nous la solennité exigée par ce grand jour. Mais aujourd’hui il n’y a, je crois, que ceux qui désirent l’entendre, et nous ne parlons ni à des cœurs sourds ni à des âmes dégoûtées. Le désir que je vois en vous est de plus une prière en ma faveur. Un autre motif m’encourage : le jour des jeux publics a emporté d’ici un grand nombre de malheureux, pour le salut desquels nous vous recommandons une sollicitude aussi empressée que la nôtre : priez Dieu avec ferveur pour eux, car appliqués comme ils sont aux spectacles de la chair, ils ne connaissent point encore les doux spectacles de la vérité. Je sais et je sais avec certitude qu’à votre société appartiennent plusieurs de ceux qui nous délaissent aujourd’hui. Ils déchirent ainsi ce qu’ils ont cousu ; car, les hommes changent et en bien et en mal : nous éprouvons chaque jour la joie et la tristesse de ces vicissitudes : joie, quand ils se corrigent ; tristesse, quand ils se perdent. Aussi le Seigneur n’assure pas le salut à celui qui commence : « celui qui persévérera jusqu’à la fin, dit-il, celui-là sera sauvé[1]. »
2. Mais était-il possible que Notre-Seigneur Jésus-Christ, que le Fils de Dieu, qui a daigné se faire en même temps fils de l’homme, nous accordât rien de plus admirable, rien de plus magnifique, que de faire entrer dans son bercail, non-seulement les spectateurs de ces jeux frivoles, mais encore ceux qui s’y donnent en spectacle ? Car il poursuit pour les sauver et les amis des gladiateurs et les gladiateurs eux-mêmes. Lui-même d’ailleurs n’a-t-il pas été donné en spectacle ? Apprends de quelle manière. Il a dit, il a prédit longtemps auparavant, il a annoncé, comme si la chose était déjà accomplie, il a dit expressément dans un psaume : « Ils ont creusé mes mains et mes pieds, ils ont compté tous mes os. » Voilà comment il a été donné en spectacle, ses os mêmes ont été comptés. Il exprime plus clairement encore cette idée de spectacle : « Ils m’ont regardé, dit-il, ils m’ont considéré attentivement[2]. » Spectacle de dérision, car on n’avait pour lui, même en ce moment, aucune bienveillance, on ne montrait que de la fureur. Ainsi voulut-il que dès l’origine ses martyrs fussent également livrés en spectacle. « Nous sommes en spectacle, dit l’Apôtre, au monde, aux anges et aux hommes[3]. » Or il y a pour cette dernière sorte de spectacles deux espèces de spectateurs ; les spectateurs charnels et les spectateurs spirituels. Les spectateurs charnels regardent comme des misérables ces martyrs qui sont exposés aux bêtes, qui périssent ta tête tranchée ou consumés par la flamme ; ils les détestent, et les ont en horreur. Les autres spectateurs, comme les saints anges eux-mêmes, considèrent moins leurs chairs en lambeaux qu’ils n’admirent l’intègre vigueur de leur foi. Quel spectacle en effet pour les yeux du cœur qu’une âme montre ce que vous préférez invincible dans un corps en ruine ! Ce sont ces spectacles que vous contemplez volontiers lorsqu’on en lit les actes dans l’Église ; car vous n’y entendriez rien si vous n’y voyiez rien ; et aujourd’hui par conséquent vous ne renoncez point, aux spectacles vous montrez ceux que vous préférez. Que Dieu donc voies accorde la grâce de rendre compte avec bonté de vos spectacles pieux, à ces amis que vous plaignez aujourd’hui d’avoir couru à l’amphithéâtre et d’avoir refusé de venir à l’église ; qu’ils commencent à mépriser ces jeux profanes dont l’amour les rend méprisables eux-mêmes, et qu’avec vous ils aiment ce Dieu dont ne peut rougir aucun de ceux qui l’aiment, car l’aimer c’est aimer l’invincible. Qu’avec vous ils aiment le Christ, le Christ qui a voulu paraître vaincu pour vaincre l’univers. Ne voyons-nous pas aujourd’hui, mes frères, qu’il l’a vaincu en effet ? Il a soumis toutes les puissances ; sans soldat superbe et avec sa croix chargée d’outrages, il a courbé les rois sous son joug ; il n’a point fait sang avec le glaive, il est resté attaché à la croix et en souffrant dans son corps il a triomphé des âmes. Ses membres s’élevaient sur le gibet et sous ce gibet il abaissait les cœurs. Et quel diamant brille avec plus d’éclat sur le diadème, que la croix du Christ sur le front des monarques ? Non, en vous attachant à lui, vous n’avez jamais à rougir. Combien reviennent de l’amphithéâtre, vaincus parce que sont vaincus ceux pour qui ils se sont pris d’une folle passion ? Ne seraient-ils pas plus vaincus encore si leurs partisans triomphaient ? Ils seraient alors livrés à une vaine joie, ils s’abandonneraient

  1. Mt. 10, 22
  2. Ps. 21, 17-18
  3. 1 Cor. 4, 8