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SERMON L. LES RICHESSES D’INIQUITÉ[1].

ANALYSE. – On sait que pour condamner l’ancien Testament les Manichéens cherchaient partout à le mettre en contradiction avec le Nouveau. Ils prétendaient donc que ces paroles d’Aggée : « L’or est à moi, l’argent est à moi, dit le Seigneur », étaient opposés à celles-ci de l’Évangile : « Faites-vous des amis avec les richesses d’iniquité[2]. » Saint Augustin montre ici qu’entre ces deux sages il n’y a pas la moindre contrariété. – 1° Si Dieu rappelle dans l’ancien Testament que l’or et l’argent lui appartiennent, n’est-ce pas le moyen de rabaisser la vanité des riches ? 2° Les richesses sont bien à lui : non-seulement il les a créées, il s’en sert encore pour la glorification des justes et la punition des pécheurs. 3° Notre-Seigneur, il est vrai, appelle les biens de ce monde des richesses d’iniquité : c’est qu’en effet elles sont trompeuses, irritent les besoins au lieu de les apaiser. 4° Trop souvent sans doute elles sont l’instrument du vice ; mais elles ne sont pas pour ce motif plus condamnables que les créatures les plus parfaites, dont on peut bien mal user. 5° En examinant de plus près le texte d’Aggée, on remarquera que l’or et l’argent dont il est ici parlé désignent la sage et la vertu dont nul ne doit s’enorgueillir, car elles viennent du Seigneur. 6° Il serait facile d’ailleurs de montrer que l’ancien Testament blâme autant l’avarice que le nouveau. 7° Tout donc tend à prouver la mauvaise foi des Manichéens.


1. Les Manichéens cherchent à appuyer leurs calomnies sur le prophète Aggée ; ils critiquent odieusement ces paroles qu’il a prononcées au nom du Seigneur : « L’or est à moi, l’argent est « à moi ; » et parce qu’ils s’attachent à comparer méchamment l’Évangile à l’ancienne loi, dans le but de montrer que les deux Testaments sont contraires et opposés l’un à l’autre, ils proposent la difficulté suivante : Il est écrit, disent-ils, dans le prophète Aggée : « L’or est à moi, l’argent est à moi », et notre Sauveur, dans l’Évangile, appelle ces richesses une espèce d’iniquité[3]. L’Apôtre à son tour parle ainsi de l’usage qu’on en fait : « La racine de tous les maux est l’avarice, écrit-il à Timothée ; aussi quelques-uns en s’y laissant entraîner, ont dévié de la « foi et se sont engagés dans beaucoup de chagrins[4]. » Ainsi présentent-ils la question, ou plutôt, ainsi accusent-ils les anciennes Écritures qui ont annoncé l’Évangile, en s’appuyant sur le môme Évangile annoncé par elles. S’ils proposaient sérieusement la difficulté, peut-être se mettraient-ils en devoir de la résoudre, et en y travaillant ils pourraient y parvenir.
2. Malheureux qu’ils sont, pourquoi ne comprennent-ils pas que le motif du Seigneur, en disant dans Aggée : « L’or est à moi, l’argent est également à moi », est de rappeler à celui qui refuse de donner aux indigents, malgré l’obligation d’exercer la miséricorde, que Dieu lui commande de distribuer, non pas de son propre bien, mais du bien du Seigneur lui-même ; et à celui qui fait l’aumône, qu’il ne la fait pas avec ce qui lui appartient, car au lieu de s’affermir dans la vertu en pratiquant la miséricorde il pourrait s’enfler de vanité et d’orgueil ? « L’or est à moi, dit-il, l’argent est également à moi » non pas à vous, ô riches de la terre. Pourquoi donc hésiter de donner au pauvre de qui m’appartient ? ou pourquoi vous enorgueillir de donner de ce qui est à moi ?
3. Veux-tu connaître combien est juste ce Dieu à qui appartiennent et l’or et l’argent Ces richesses font le tourment de l’avare autant qu’elles aident le cœur compatissant. La divine justice distribue tout avec tant de sagesse, qu’elles servent soit à manifester les belles actions, soit à châtier l’iniquité. Oui, l’or, l’argent et tous les domaines de la terre sont également l’instrument de la bienfaisance et le supplice de la cupidité. En les accordant aux hommes de bien, Dieu montre combien de choses dédaigne leur âme dont toute la richesse est l’auteur même de richesse. Pour prouver en effet que l’on méprise une chose, il faut la posséder réellement. En la possédant pas, on peut sans doute la mépriser. Mais ce mépris est-il feint ou sincère ? Dieu seul le sait puisqu’il voit le cœur ; quant aux hommes qui voudraient imiter ce mépris, ils ne peuvent en connaître la sincérité que par des actes de générosité. Lorsque d’un autre côté Dieu octroie ces biens aux méchants, il fait voir, par ces biens-même qu’il accorde, à quels tourments est réservée l’âme qui en dédaigne le généreux ##Rem ante Il donne aux bons l’occasion de faire le bien ; tourmente les méchants de la crainte d’essuyer des pertes ; et si les uns comme les autres perdent leur or et leur argent, les premiers conserveront avec joie leurs trésors célestes, tandis que les seconds verront leur maison dépouillent des biens temporels et leur conscience plus dépouillée encore des richesses éternelles.

  1. Agg. 2, 9
  2. Lc. 16, 9
  3. Lc. 16, 9
  4. 1 Tim. 6, 10