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serviteur, continue toujours Dieu, et il a cru sans voir ; toi, tu vois et tu ne crois pas ! Il a gardé mon testament après l’avoir reçu ; il est ouvert maintenant et tu le déchires ! En effet ce testament a été gardé après avoir été reçu, au lieu que pour l’ouvrir il fallait que les prédictions en fussent accomplies. Il est donc parvenu jusqu’à toi dans toute son intégrité ; et tu veux sûrement y conserver tes droits. Mais, est-ce que ton cohéritier conteste avec toi et te dit : Prends pour toi cette part, je conserve celle-ci ? ou bien : Prends la moindre, je réserve la plus grande ? Il ne dit pas non plus Divisons entre nous, mais : Possédons ensemble. Telle est la volonté du testateur, ouvre et lis. Mais tu t’écries : Je l’ai empêché d’être brûlé, je l’ai gardé de peur qu’on le livrât aux flammes ! Ouvre-le et reconnais que tu as gardé de quoi te faire brûler. Je ne crois pas cependant que tu l’aies gardé, quand je te vois ne pas garder ce qu’il ordonne. « Et je ferai pour eux un testament de paix. »
23. « Et j’exterminerai de la terre les bêtes fauves ; » les bêtes fauves, les ennemis du testament de paix. C’est d’elles qu’il est dit dans un psaume : « Épouvante la bête des roseaux [1]. » Que signifie : « la bête des roseaux ? » La bête ennemie de l’Écriture sainte, écrite avec un roseau. « J’exterminerai de la terre les bêtes cruelles, et on habitera le désert avec confiance. » Que signifie ici le désert ou la solitude ? L’intérieur de la conscience. La conscience est en effet une profonde solitude où nul homme ne saurait ni passer ni même pénétrer du regard. Habitons-y en espérance, puisque nous ne possédons pas encore la réalité, tout ce que nous avons au-dehors flottant au souffle des tempêtes et des tentations du siècle. Nous avons donc un désert intérieur. Là interrogeons notre foi, examinons si nous avons la charité dans le cœur ; voyons si notre cœur parle autant que nos lèvres quand nous disons : « Remettez-nous nos dettes comme nous remettons à nos débiteurs[2] » Si nous parlons, si nous disons vrai là où nul œil humain ne pénètre, c’est qu’il y a en nous un désert intérieur où nous reposons en paix, assurés que toutes les tribulations présentes passent, que l’espérance deviendra réalité, et que tout notre être goûtera le repos. Nous nous verrons clairement alors, notre pensée ne sera plus comme une brebis qui se cache, ni notre conscience une solitude. Tous en effet se connaîtront et connaîtront leurs pensées, lorsque le Seigneur viendra, éclairera ce qui est caché dans les ténèbres et que chacun recevra de Dieu sa louange [3]. Maintenant, au contraire, si tu vois deux hommes dans l’affliction, tu ne saurais voir leur cœur. Il est possible que l’un soit déchiré de remords et que l’autre repose dans sa conscience comme dans un désert tranquille.« Ils habiteront le désert avec espérance et goûteront le sommeil ; » c’est-à-dire le plein repos que laisseront les sens, étrangers à tous les bruits du siècle. C’est là qu’ils reposeront, « près des ruisseaux. » Il y a dans cette solitude intérieure comme des ruisseaux qu’alimente la mémoire, qui répandent comme une eau divine jaillissant de la science et de la méditation des Écritures. Si en effet ce qu’on a lu et entendu, on le confie à la mémoire, dans toute sa pureté et sa sainteté ; lorsqu’ensuite on cherche à reposer dans la solitude intérieure, en d’autres termes, dans la paix d’une bonne conscience, on sent comme jaillir des profondeurs de l’âme et couler en quelque sorte le souvenir de la parole de Dieu. Alors on goûte avec les autres fidèles le repos de l’espérance et l’on dit : C’est vrai, c’est bien, c’est mon espoir, c’est ce que Dieu m’a promis, Dieu ne ment pas, je suis en sûreté. Cette sûreté est comme le sommeil pris le long des ruisseaux. « Et ils dormiront près des ruisseaux. »
24. « Et je leur donnerai ma bénédiction autour de ma colline. » Qu’importe qu’il y ait ici montagne ou colline, pourvu que nous soyons bien autour ? Colline désigne le Christ ; car il est au milieu de nous et nous sommes autour de lui, puisqu’il a été dit précédemment : « David sera prince au milieu d’eux. » Et parce qu’il est prince, il est appelé colline, douce colline, qui n’est ni âpre ni difficile à monter, pourvu qu’on n’ait pas la démarche fière, « Et je leur donnerai ma bénédiction autour de ma colline, et je répandrai en son temps la pluie » de la parole divine. Il y a une pluie dévastatrice ; elle renverse la maison bâtie sur le sable et tout ce que peut la maison construite sur la pierre, c’est de ne pas s’écrouler sous ses coups[4]. Cette pluie est la tentation qui cherche à déraciner et non à arroser. Telle ne sera point la pluie que promet le Seigneur. Que dit-il en effet ? « Ce seront des pluies de bénédiction. » Tu craignais au mot

  1. Ps. 67, 31
  2. Mt. 6, 12
  3. 1 Cor. 4, 6
  4. Mt. 7, 24-27