Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/22

Cette page n’a pas encore été corrigée

l’aîné. Jacob craignit : « Mon frère dit-il, est velu ; pour moi je ne le suis pas ; si donc mon père vient à me toucher et à me palper, ne comprendra-t-il pas que je suis Jacob et n’attirerai-je pas sa malédiction au lieu de sa bénédiction ? – Va mon fils, répondit la mère, écoute-moi. Je me charge de cette malédiction [1]. » Jacob alla donc, il apporta deux chevreaux ; la mère les apprêta et lui les présenta à son père. Mais comme il Pavait prévu, son père ne le reconnaissant point à la voix, le toucha ; et il sentit qu’il était velu. C’est que sa mère avait enveloppé ses bras avec les peaux des chevreaux. Isaac crut qu’il était son fils aîné et il le bénit ; il dirigeait sa bénédiction sur l’aîné et elle descendait sur le plus jeune. Pourquoi celui-ci est-il béni sous l’extérieur de son aîné ? N’est-ce point parce que c’est sous les figures de l’ancien Testament, promis aux Juifs, que la bénédiction spirituelle est parvenue au peuple chrétien ? Attention, mes frères ! On leur parle de la terre promise, on nous en parle aussi ; l’Écriture semble n’entretenir que les Juifs de cette terre promise, et c’est nous qui comprenons ce qu’elle signifie, nous qui disons à Dieu : « Vous êtes mon espérance, mon partage dans la terre des vivants[2]. » Mais qui nous a enseigné à parler ainsi ? C’est notre mère ; c’est l’Église en effet qui nous enseigne par l’organe des saints Prophètes dans quel sens spirituel nous devons entendre les promesses charnelles.
14. Mais pour arriver jusqu’à nous, cette bénédiction exige que purifiés de nos péchés par le sacrement de la régénération, nous supportions avec patience les péchés d’autrui. Notre mère aussi a donné naissance à deux fils ; remarquez-le, mes frères. L’un est velu, l’autre ne l’est pas, c’est-à-dire que l’un est pécheur et l’autre doux, pur de tout péché. Ces deux fils sont bénis : car il est deux espèces d’hommes que bénit l’Église. Comme Rebecca, elle porte dans son sein des justes et des pécheurs. Il est en effet des hommes qui refusent, même après le baptême, de renoncer aux péchés et qui veulent continuer à faire ce qu’ils faisaient auparavant. Trompaient-ils ? Ils veulent tromper encore. Prêtaient-ils de faux serments ? Ils veulent encore se parjurer. Ils enlaçaient les innocents dans leurs pièges, ils veulent les y prendre encore ; s’ils tramaient des complots homicides, ils en trament encore. S’ils se livraient à l’impureté et au vin, ils s’y livrent tout autant. C’est Ésaü couvert encore des poils de sa naissance. Que fait Jacob ? Sa mère lui dit : Va chercher la bénédiction de ton père. Je crains, répond-il, je n’approcherai pas de lui. C’est qu’il y a dans l’Église des hommes qui redoutent de se mêler aux pécheurs ; ils ont peur qu’en vivant avec eux dans l’unité ils ne se souillent en quelque sorte à ce contact, et que le schisme et l’hérésie ne leur donnent la mort.
15. Mais que dit-on de cet Ésaü velu qui n’a point su mener une vie sage dans la maison paternelle ? « C’était un rude chasseur. – Pour Jacob, il vivait sans artifice à la maison [3]. » Aussi était-il aimé de sa mère, qui jouissait de la douceur de sa vie. C’est ce même Jacob qui au moment de sa lutte avec l’ange fut surnommé Israël et non sans un profond mystère, car il reçut ce nom après avoir été béni[4], et précisément parce qu’il était sans artifice. Soyez attentifs, mes frères, et reconnaissez combien il était en vérité exempt d’artifice. Lorsque le Sauveur vit Nathanaël, il lui dit pour montrer qu’il le connaissait bien : « Voici vraiment un Israélite, il est sans, artifice[5]. » Si Nathanaël est un Israélite pour être sans artifice, il n’y avait certes pas d’artifice dans Israël lui-même. Que signifient donc ces paroles : « Ton frère est venu artificieusement et il a ravi la bénédiction[6]? » L’Écriture nous apprend qu’il vivait à la maison sans artifice ; et en disant à Nathanaël : « Voici vraiment un Israélite, il est sans artifice, » le Seigneur atteste aussi que Jacob en était exempt. Que signifient ces mots : « Il est venu artificieusement et il a ravi la bénédiction ? »
16. Examinons d’abord ce que l’on entend par artifice et voyons ce que doit faire Jacob. Il supporte les péchés d’autrui, et il les supporte avec patience quoiqu’ils ne soient pas les siens. Voilà ce que signifient les peaux de chevreaux : supporter patiemment les péchés d’autrui, n’être attaché à aucun péché personnel. Ainsi tous ceux qui supportent les péchés d’autrui pour l’unité de l’Église, imitent Jacob. Jacob lui-même est animé de l’esprit du Christ, car le Christ est de la race d’Abraham – à qui il a été dit : « Toutes les nations seront bénies dans ta postérité[7]; » et sans avoir fait aucun péché,

  1. Gen. 27, 6-13
  2. Ps. 141, 6
  3. Gen. 25, 27
  4. Id. 32, 28
  5. Jn. 1, 47
  6. Gen. 27, 35
  7. Gen. 22, 18