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quelque excuse ? Tu accuses, mais tu ne convaincs pas, et en sortant prématurément, en te séparant, tu es convaincu toi-même. Reconnais que tu es un fils mauvais : tu te dis juste et tu ne justifies point ta séparation. Je ne dirai point : C’est toi plutôt qui es un traditeur. Si pourtant je le disais, je le prouverais aisément ; mais je ne le dis point, parce que c’est aux tiens et non à toi que ce fait doit être imputé. Je ne te rends point responsable des faits d’autrui, des faits même de ton parti. Je considère ta conduite et je t’accuse d’être dehors, j’accuse ta séparation. J’écarte tout ce qu’on peut dire contre vous autres. Je ne parle, ni de vos scènes d’ivresse, ni de vos usures accumulées les unes sur les autres. Je ne parle ni des bandes ni des fureurs des Circoncellions ; j’omets tout cela et beaucoup d’autres choses qu’on pourrait relater. Peut-être d’ailleurs n’êtes-vous pas tous coupables de ces actes. Je m’adresse à celui d’entre vous qui y demeure étranger et qui les désapprouve. Qu’il vienne et qu’il réponde ; je ne le charge pas du crime d’autrui, qu’il justifie sa séparation. N’a-t-on pas raison de lui dire : « Le fils mauvais se prétend juste ? » Car c’est le Seigneur, c’est la vérité même qui le lui dit : « Le fils mauvais se prétend juste. » Ce n’est pas moi, c’est lui qui se dit tel. S’il veut que je lui donne ce nom, qu’il vienne, qu’il porte de bons fruits au sein de l’Église catholique et qu’au sein de la paix catholique il les garde ; car il n’y a point de fruits sans patience. « Avec la patience, dit le Sauveur, ils porteront du fruit [1]. » Veux-tu savoir comment tu en es dépouillé ? Apprends-le par ces autres paroles : « Malheur à ceux qui ont perdu la patience.[2] ! »
18. Représentez-vous maintenant que, comme il arrive souvent, un homme se demande où est le Christianisme. Cet homme veut être chrétien, il remarque que l’humanité s’ébranle au nom du Christ, et sans se proposer aucun avantage temporel, il veut être chrétien ; ce n’est ni pour se concilier un ami puissant, ni pour obtenir une main bien-aimée, ni pour échapper à quelque affliction du siècle ; et toutefois beaucoup étant entrés parmi nous avec ces sentiments se sont ensuite corrigés. Mais supposons un homme qui songe à son âme et veut être chrétien ; il est frappé de voir deux partis dans le Christianisme et il cherche les motifs qui les ont divisés. Les uns répondent : Nous sommes justes et nous avons quitté les pécheurs. Mais croient-ils parler à un aveugle qui entend ce qu’ils disent sans voir ce qu’ils font ? Si donc, considérant leurs mœurs et ce que je viens de rappeler, il ajoutait : Vous vous prétendez justes et vous assurez que pour ce motif vous avez eu raison de vous séparer ; pourquoi donc, je vous prie, vois-je parmi vous tels et tels ? Comme on n’oserait le nier, comme il s’agit de faits palpables, peut-être répondrait-on : Tels et tels sont parmi nous, il est vrai, mais sommes-nous tous comme eux ? – À merveille. Je te vois donc mêlé aux pécheurs en dehors de l’Église, pourquoi ne leur serais-tu pas mêlé dans son sein ? Tu as dû obtenir, comme fruit de ta séparation, de ne pas vivre avec les pécheurs. Si tu ne rencontrais point, en dehors de l’Église, ces sortes de coupables pour lesquels tu prétends en être sorti, je tolérerais jusqu’à un certain point ta séparation. Revenons à cet homme qui veut se taire chrétien et qui cherche où sont les chrétiens. Il remarque de nombreux pécheurs parmi ceux qui se sont, disent-ils, séparés des pécheurs. Il doit aussi étudier l’Église du Christ au point de vue de l’honnêteté des mœurs qu’il peut apprécier jusqu’à un certain degré, tout en sortant du siècle. Là encore il remarque des hommes sobres et des hommes débauchés ; des hommes qui nourrissent les pauvres et d’autres qui cherchent à s’emparer du bien d’autrui ; dans l’Église et en dehors de l’Église il voit tous ces contrastes. Qu’il se tourne ensuite du côté de Dieu et considère ce qu’il dit de son Église. Il observe qu’au témoignage de Dieu l’Église est répandue parmi toutes les nations, et que dans la parabole de l’ivraie Dieu déclare expressément : « Le champ est ce monde. » Le champ n’est pas l’Afrique, mais ce monde. Il y a donc du froment dans tout le monde et dans tout le monde de l’ivraie, et quoique le Fils de l’homme ait ensemencé ce champ immense que doivent moissonner, non pas les chefs des Circoncellions, mais les anges, l’ivraie comme le froment y doit croître jusqu’à la récolte ; il n’est pas dit que l’ivraie croit et que décroît le froment, mais que l’une et l’autre croissent jusqu’à la moisson. Quelle est cette moisson ? Entends le Christ : « La moisson, dit-il, est la fin du monde[3]. » Cet homme entend cela clairement, il juge avec sagesse et que dit-il ? Je n’entrerai point dans cette fraction, j’entrerai dans l’Église et j’y

  1. Lc. 8, 16
  2. Sir. 2, 16
  3. Mt. 13, 38-39