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ce langage s’écarte de la vraie sagesse, ces esprits blessés seraient en petit nombre et nous nous concilierons les faveurs de la multitude. Mais en agissant ainsi, en prêchant notre parole et non, la parole de Dieu ni la parole du Christ, nous serions des pasteurs qui se paissent eux-mêmes au lieu de paître leurs brebis.
9. Après avoir, dit ce que convoitent ces pasteurs, le Prophète parle de ce qu’ils négligent. Les défauts des brebis ne sont, hélas ! que trop connus ; il, n’y en a qu’un fort petit nombre de saines et de grasses, c’est-à-dire qui soient constantes à se nourrir de la vérité, à faire un bon usage des pâturages célestes où les appelle la grâce de Dieu. Et pourtant ce petit nombre même n’est pas épargné pour ces mauvais pasteurs. C’est peu pour eux, de ne prendre aucun souci de celles qui sont languissantes ou infirmes, égarées ou perdues ; ils tuent autant qu’il est en eux, celles-mêmes qui sont, grasses et valides. Elles vivaient par, la miséricorde de Dieu, et ; ces misérables leur, donnent la, mort, de tout leur pouvoir. Comment, diras-tu, leur donnent-ils la mort ? En vivant, mal, en leur montrant le mauvais exemple. Est-ce en vain qu’il a été dit à ce serviteur de Dieu, qui se distinguait parmi les membres du Pasteur suprême : « Rends-toi pour tous un modèle de bonnes œuvres [1] ; » et encore : « sois l’exemple des fidèles[2] ; ? » La brebis même vigoureuse considère souvent la vie coupable de son pasteur, et en détournant les regards des règles divines pour les arrêter sur l’humanité, elle commence à dire en elle-même : Si mon pasteur vit de la sorte, est-ce à moi de ne pas faire ce qu’il fait ? Ainsi périt, la brebis saine. Or si le mauvais pasteur lui donne ainsi la mort, si ses exemples coupables tuent ainsi celles qu’il n’avait pas fortifiées, et qu’il, avait trouvées robustes et vigoureuses, que deviendront les autres entre ses mains ? Je le dis et je le répète à votre charité Oui, quand même les brebis puiseraient la vie ou la vigueur, dans la parole de Dieu, quand même elles seraient fidèles à cette recommandation de leur Seigneur : « Faites ce qu’ils disent, gardez-vous de faire ce qu’ils font[3] ; » quiconque se conduit mal en public donne autant qu’il peut la mort à celui qui le considère. Qu’on ne se flatte pas d’ailleurs si celui-ci échappe à la mort ; il conserve la vie, mais celui-là n’en est pas moins homicide. Lorsqu’un homme impur arrête sur une femme des regards de convoitise, cette femme demeure chaste ; mais lui n’est-il pas adultère ? Car le Seigneur a enseigné cette maxime aussi claire qu’indubitable : « Arrêter sur une femme des regards de convoitise, c’est être déjà adultère dans le cœur [4]. » On ne la souille point, maison se souille soi-même. Ainsi en est-il de quiconque donne mauvais exemple à ses subordonnés ; autant qu’il le peut, il met à mort à ceux mêmes d’entre eux qui sont forts : En imitant un supérieur coupable on meurt ; on vit en ne l’imitant pas ; mais il tue, autant qu’il dépend de lui, dans l’un et dans l’autre cas. « Vous tuez ce qui est gras, dit le texte sacré, et vous ne paissez point mes brebis. »
10. Écoutez encore ce que négligent ces pasteurs : «. Vous ne fortifiiez point les faibles, vous ne guérissiez pas les malades, vous ne pansiez pas les blessées ; vous n’avez point rappelé celles qui étaient égarées, ni cherché celles qui étaient perdues et vous ayez tué celles qui étaient fortes. » Une brebis est faible quand elle ne s’attend pas à éprouver des tentations, et le pasteur négligeant ne lui : dit point alors : « En te donnant, mon fils, au service de Dieu, demeure dans la justice et dans la crainte, et prépare ton âme à l’épreuve[5]. » Ce langage fortifie la faiblesse, il affermit les infirmes et les empêche d’attendre les prospérités du siècle comme récompense de leur foi. Sien effet on leur apprenait à compter sur ces prospérités, ils y trouveraient leur perte, car au choc de l’adversité ils seraient blessés, peut-être même à mort. Bâtir ainsi n’est donc pas construire sur la pierre mais sur le sable. Or Jésus-Christ était la pierre, dit l’Apôtre[6]. Un chrétien doit donc partager les souffrances de Jésus-Christ et ne pas rechercher les délices. Et le moyen de fortifier le faible est de lui dire : Attends-toi aux tentations de cette vie, mais le Seigneur saura te délivrer de toutes, pourvu que ton cœur ne se détache point de lui. C’est afin de fortifier ce cœur qu’il est venu souffrir et mourir, qu’il est venu pour être couvert de crachats et couronné d’épines, pour recevoir des outrages et être cloué à la croix. Ainsi donc c’est pour toi, qu’il a tout enduré et ce n’est pas pour lui, mais pour toi que tu souffres.
11. Que penser maintenant de ceux qui dans la crainte de déplaire à leurs auditeurs, non-seulement ne les disposent pas aux épreuves qui les attendent, mais encore leur promettent pour ce monde une prospérité que Dieu ne promet pas

  1. Tit. 2, 7
  2. 1 Tim. 4, 2
  3. Mt. 23, 3
  4. Mt. 5, 28
  5. Sir. 2, 1
  6. 1 Cor. 10, 4