Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/182

Cette page n’a pas encore été corrigée

de notre création, elle dit expressément pour nous préférer, ou plutôt pour nous préposer aux animaux, en d’autres termes pour nous les soumettre : « Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance ; qu’il ait l’empire sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur tous les animaux et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre [1]. » D’où lui vient cet empire ? De l’image de Dieu ; aussi adresse-t-on à quelques-uns ce reproche : « Ne ressemblez ni au cheval ni au mulet, animaux sans intelligence[2]. » Cependant l’intelligence diffère de la raison. Car nous avons la raison avant d’avoir l’intelligence de quoi que ce soit, mais nous ne saurions avoir l’intelligence sans avoir la raison. L’homme est donc un animal doué de raison ou pour parler plus clairement et plus brièvement, un animal raisonnable, un animal qui possède naturellement la raison et qui la possède avant même de comprendre. Pourquoi effectivement cherche-t-il à comprendre, sinon parce que la raison préexiste en lui ?
4. La faculté qui nous rend supérieurs aux bêtes est donc ce que nous devons principalement cultiver, retoucher en quelque sorte et réformer en nous. Mais qui en sera capable, sinon l’artiste divin qui nous a formés ? Nous avons pu défigurer l’image de Dieu en nous, nous ne saurions la réparer. Ainsi donc, pour tout résumer en quelques mots, nous partageons l’être avec les bois et les pierres ; la vie avec les arbres ; le sentiment avec les bêtes ; l’intelligence avec les anges. Par les yeux nous discernons les couleurs, le son par les oreilles, l’odeur par les narines, les saveurs par le goût, la chaleur par le tact et le mérite par l’intelligence. Attention ! Chacun veut comprendre, il n’est personne qui n’ait ce désir ; mais tous ne veulent pas croire. On me dit : Je dois comprendre pour croire ; je réponds : Crois pour comprendre. C’est donc entre nous une espèce de controverse, l’un disant : Je dois comprendre pour croire, et l’autre : Au contraire crois pour comprendre. Pour nous entendre cherchons un juge et que nul ne prononce dans sa propre cause. Or à quel juge nous arrêter ? Après avoir examiné tous les hommes, j’ignore s’il est possible de rencontrer un juge préférable à l’homme que Dieu a choisi pour son organe. Ainsi donc pour terminer ce débat n’ouvrons point les auteurs profanes, ne nous faisons point juger par un poète, mais par un prophète. Lorsqu’accompagné de deux autres disciples du Sauveur, le bienheureux Apôtre Pierre, était sur la montagne avec le Seigneur lui-même, il entendit une voix descendue du ciel, laquelle disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui j’ai mis toutes mes complaisances écoutez-le [3]. » Et en rappelant ce trait, le même Apôtre dit dans une de ses épîtres : « Nous avons entendu cette voix descendue du ciel, lorsque nous étions avec lui sur la montagne sainte. » Or après ces mots : « Nous avons entendu cette voix descendue du ciel,» ; il ajoute : « Et nous avons la parole plus certaine des prophètes[4]. » Cette voix a retenti du haut du ciel ; et la parole des prophètes est pourtant plus certaine. Soyez attentifs, mes bien-aimés : que Dieu seconde et mes désirs et votre attente afin que je dise ce que je veux et comme je veux. Qui de nous ne s’étonnerait d’entendre dire à l’Apôtre que la parole des prophètes est plus certaine qu’une voix descendue du ciel ? Il dit plus certaine ; plus certaine et non pas meilleure ni plus vraie. La parole descendue du ciel est en effet aussi vraie que la parole des prophètes ; elle est aussi bonne, aussi utile. Que signifie donc plus certaine, sinon plus propre à inspirer la conviction ? Pourquoi ? Parce qu’il est des infidèles qui accusent le Christ d’avoir eu recours à la magie pour faire ce qu’il a fait. En recourant aux conjectures humaines et aux prestiges coupables, les infidèles pourraient donc attribuer aussi aux arts magiques cette voix descendue du ciel. Quant aux prophètes, ils sont antérieurs non-seulement à l’émission de cette voix, mais encore à l’incarnation du Christ. Le Christ ne s’était pas fait homme encore lorsqu’il les envoya. Toi donc qui fais de lui un magicien, dis-moi : s’il a pu, grâce à la magie, se faire adorer même après sa mort, avant de naître exerçait-il cet art ? Voilà pourquoi l’Apôtre Pierre a dit : « Nous avons la parole plus certaine des prophètes. » La voix du ciel est pour les fidèles un avertissement ; et pour les infidèles la parole des prophètes est une conviction. Ainsi donc, mes bien-aimés, nous comprenons pour quel motif Pierre a dit, même après avoir entendu la voix descendue du ciel : « Nous avons la parole plus certaine des prophètes. »

  1. Gen. 1, 28
  2. Ps. 31, 9
  3. Mt. 17, 5
  4. 2 Pi. 1, 18-19