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SERMON IV. PRÊCHÉ À LA FÊTE DE SAINT VINCENT, MARTYR. JACOB ET ÉSAÜ OU LES HOMMES SPIRITUELS ET LES HOMMES CHARNELS[1].

ANALYSE. – Ce long discours parait n’avoir pas été prêché le même jour. « Chacun, dit saint Augustin dans la première partie, commence par la vie charnelle ; c’est pourquoi Esaü s’appelle l’aimé. » Et il ajoute plus loin : « Je vous ai fait observer hier qu’Esaü s’appelle l’aîné parce qu’on ne devient spirituel qu’après avoir été charnel. » Si donc on a réuni plusieurs discours, c’est que tous ne sont que le développement d’une même idée et l’explication d’une même figure. Jacob est le type figuratif des hommes spirituels ; Esaü est le type des hommes charnels. Pour connaître le bonheur et les devoirs des premiers, il suffit de leur appliquer au sens spirituel ce que dit et fait Jacob quand il obtient la bénédiction de son père ; et pour se faire une idée du malheur et des péchés des seconds, on peut leur appliquer aussi ce que dit et fait Esaü. Voilà le dessein général.


1. Il nous en souvient, nous vous sommes redevables sur la lecture d’hier ; mais si nous vous devons un discours, vous nous devez votre attention. Il paraît y avoir dans cette lecture quelque chose de charnel ; toutefois celui qui a reçu l’esprit de Dieu y voit une sagesse toute spirituelle. « La sagesse charnelle est la mort, dit l’Apôtre[2]. » Si donc Dieu a promis le Consolateur divin, l’Esprit de vérité ; s’il l’a envoyé comme il l’avait promis, c’est qu’il veut qu’après l’avoir reçu on ne soit plus asservi aux plaisirs du temps ; il veut que maître du corps et fidèle au Créateur, on marche dans la voie des commandements de Dieu sans que les pieds chancellent et que les yeux se troublent ; il veut qu’animé par la foi, on avance et on arrive à ce que l’œil n’a point vu, à ce que l’oreille n’a point entendu, à ce qui n’est point monté dans le cœur de l’homme[3], à ce qu’on croit avant de le voir ; foi nécessaire pour n’être pas confondu lorsque l’évènement s’accomplira. Qu’on s’efforce donc d’y parvenir, soutenu par la confiance, espérant ce qu’on ne possède pas encore, croyant ce qu’on ne voit pas encore, aimant ce qu’encore on n’embrasse pas. Quand l’âme s’exerce ainsi dans la foi, dans l’espérance et dans la charité, elle devient apte à recevoir ce que Dieu lui réserve.
2. Aussi lorsque Pierre obéissait encore à la sagesse charnelle, il se troubla à la voix d’une servante et renia trois fois son Maître. Le Médecin avait prédit au malade ce qui devait lui arriver ; ce malade ignorait à quelles chutes l’exposait son mal, et présumait de lui-même ; mais le Médecin voyait juste. Pierre avait donc dit qu’il mourrait avec son Maître et pour son Maître. Sa maladie l’en rendait encore incapable. Mais lorsque l’Esprit saint fut descendu du ciel et eut affermi ceux en qui il venait d’être envoyé ; rempli tout-à-coup d’une confiance spirituelle, ce fut alors qu’il commença d’être réellement disposé à donner sa vie pour Celui-là même qu’il avait renié. Cette même confiance remplit tous les martyrs, tous les martyrs qui ont la vraie foi, qui ne meurent ni ne souffrent pour une foi trompeuse, pour de vains fantômes, pour des espérances chimériques, pour d’incertaines réalités ; mais pour de sûres promesses, car ils savent que Celui qui les a faites peut les accomplir. Aussi méprisent-ils toutes les choses présentes et s’embrasent-ils d’ardeur pour ces biens à venir, qu’ils ne craindront pas de perdre une fois qu’ils les posséderont.
3. Vous donc qui étiez ici hier, souvenez-vous

  1. Gen. 25, XXVII
  2. Rom. 8, 6
  3. 1 Cor. 2, 9