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nous regarde de près, c’est-à-dire qui nous considère avec bonté. Or, « si tu es sage », tu le seras non-seulement pour toi, mais encore pour celui qui sera ton prochain dans ce sens ; il ne sera pas bon de ta bonté, mais sa bonté lui fera aimer ton bonheur. Si au contraire « tu deviens méchant, tu en porteras seul la peine », il ne la partagera point avec toi. En effet ta méchanceté ne le rendra pas méchant, elle lui inspirera plutôt de la compassion. Il s’attriste de tes vices, il n’en est pas puni : cette tristesse témoigne de son amour et de ta perte ; elle te condamne et elle le couronne : elle t’accable et elle l’élève. C’est aussi pour ce motif qu’il est écrit : « Obéissez à vos supérieurs, car ils veillent comme devant rendre compte de vos âmes ; afin qu’ils remplissent ce devoir avec joie et non avec tristesse ; ce qui ne vous serait pas avantageux [1]. » Il ne vous est pas avantageux d’être chargé de leur tristesse ; mais il leur est utile de s’attrister de votre méchanceté. Ainsi donc regarde les bons comme tes proches, et sois bon non pas de leur bonté mais de la tienne, reconnaissant toutefois qu’elle ne vient pas de toi et qu’elle t’a été octroyée par Dieu même. Qu’as-tu en effet que tu n’aies reçu[2] ? De cette manière, « si tu es sage, tu le seras pour toi et pour tes proches », à qui il est avantageux de se réjouir de ta vertu. « Mais si tu deviens méchant, tu en subiras seul la peine ; » et non pas eux, puisqu’il leur est avantageux aussi de s’attrister de ta méchanceté.


SERMON XXXVI. DEUX SORTES DE RICHESSES.[3].

ANALYSE. – Ce discours est un grand et beau contraste entre les richesses matérielles et les richesses spirituelles. Les premières sont dangereuses ; elles exposent à l’orgueil, à une présomption funeste. On peut néanmoins en faire un bon usage en les répandant dans le sein des pauvres. Les richesses spirituelles au contraire sont les biens les plus précieux et les plus dignes d’envie ; avec elles on rachète son âme en faisant bon usage des richesses matérielles ; avec elles encore on résiste aux séductions et aux menaces. Aussi demandons-les à Dieu avec l’humilité du publicain. En lisant le discours de saint Augustin on remarquera que ce grand contraste n’est ni raide ni étriqué ; il a la souplesse, l’ampleur, l’irrégularité même de ceux de la nature.


1. La sainte Écriture que l’on vient de vous lire nous avertit, ou plutôt. Dieu par elle nous ordonne de vous adresser la parole, d’examiner et de rechercher avec vous ce que signifie cette sentence que vous venez d’entendre : « Tels font les riches, quand ils n’ont rien ; et tels s’humilient quand ils sont dans l’opulence. » Il ne faut pas s’imaginer, il ne faut croire aucunement que l’Ecriture veuille ici nous prévenir de considérer comme importantes ou de craindre de ne posséder pas ces richesses visibles et terrestres dont s’enorgueillissent les superbes. On a dit : Qu’importe à un homme de faire le riche quand il n’a rien ? La sainte parole signale et stigmatise cette maxime. Il ne faut pas non plus admirer beaucoup, ni imiter comme un grand modèle celui qu’elle paraît louer, si par richesses l’on entend ici les richesses temporelles et terrestres. « Et tels s’humilient, dit-elle, quand ils sont dans l’opulence. » Nous avons raison de condamner celui qui fait le riche quand il n’a rien. S’ensuit-il que nous préconisions celui qui s’humilie quanti il est dans l’opulence ? Il peut nous plaire parce qu’il s’humilie ; mais il ne saurait nous plaire parce qu’il est riche.
2. Admettons aussi ce sens ; car il n’est ni inconvenant, ni malséant, ni inutile que les saintes Écritures veuillent attirer notre attention sur les riches qui sont humbles. Car rien n’est pour le riche aussi à craindre que l’orgueil. Aussi l’Apôtre Paul fait à Timothée cette recommandation : « Ordonne aux riches de ce siècle de ne point s’enfler d’orgueil [4] » Les richesses ne lui faisaient pas peur ; mais la maladie qu’elles engendrent, c’est-à-dire beaucoup d’orgueil. Une âme est grande, lorsqu’au sein de l’opulence elle ne reçoit aucune atteinte de l’orgueil ; elle s’élève au-dessus de ses richesses lorsqu’elle en triomphe, non par le désir mais par le mépris. Le riche est donc grand lorsqu’il ne s’estime pas

  1. Héb. 13, 17
  2. 1 Cor. 6, 7
  3. Prov. 13, 7, 9
  4. 1 Tim. 6, 17