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des discordes civiles, et de toute cette félicité du siècle, veut posséder son Dieu, avoir en place de tout Celui qui a fait tout, lui dire : « Il m’est bon de m’attacher à Dieu ? » le servir gratuitement, le servir quand il donne, quand il ôte et quand il ne donne pas les biens de cette vie ; enfin ne rien craindre autant que de le perdre. C’est pourquoi, mes frères, le peuple chrétien qui dit sincèrement : Qu’il me prive de tout, mais qu’il ne me prive pas de lui-même, c’est « l’heureux peuple dont le Seigneur est le Dieu. »


SERMON XXXIII. LE CANTIQUE NOUVEAU OU L’AMOUR AVEC LEQUEL ON DOIT ACCOMPLIR LA LOI DE DIEU.[1].

ANALYSE. – Dans cette allocution pleine de grâces saint Augustin rappelle dans quel esprit, dans quelles dispositions il faut accomplir les dix commandements. Il constate d’abord d’une manière générale que l’amour est le propre caractère du nouveau Testament. Il montre ensuite brièvement que les préceptes compris dans chacune des deux tables du Décalogue doivent être observés dans un esprit d’amour. Il termine en disant que cet amour sacré réhabilite les vrais chrétiens et les discerne des schismatiques.


1. Il est écrit : « Je vous chanterai, mon Dieu, un cantique nouveau ; je vous célébrerai sur le psaltérion à dix cordes ; » et par le psaltérion à dix cordes on entend les dix préceptes de la loi. Mais chanter et célébrer est l’occupation de ceux qui aiment ; car la crainte était le partage du vieil homme, et l’amour est l’esprit de l’homme nouveau. C’est ainsi encore que nous distinguons les deux Testaments, le nouveau et l’ancien, figurés, dit l’Apôtre, par les deux fils d’Abraham, dont l’un est né de l’esclave et l’autre de la femme libre, et qui représentent, dit-il, les deux Testaments[2]. La crainte en effet est propre à la servitude, l’amour est le caractère de la liberté. L’Apôtre le remarque également : « Vous n’avez pas reçu de nouveau l’esprit de servitude pour vous conduire par la crainte ; mais vous avez reçu l’esprit d’adoption des enfants qui nous porte à crier : Père, Père[3]. » Jean dit aussi « Il n’y a point de crainte dans la charité ; mais la charité parfaite chasse la crainte[4]. » C’est donc la charité qui chante le cantique nouveau. Cette crainte servile du vieil homme peut bien avoir le psaltérion à dix cordes, les Juifs charnels ont reçu en effet les dix préceptes de la loi ; mais il ne peut chanter sur ce psaltérion le cantique nouveau, car il est sous la loi et ne saurait l’accomplir. Il porte l’instrument, il n’en touche pas ; le psaltérion est pour lui une charge, non pas un ornement. Celui au contraire qui est sous la grâce et non sous la loi, en accomplit les préceptes, car la loi n’est pas pour lui un fardeau mais une décoration ; sa crainte n’en est pas accablée, mais son amour embelli ; et embrasé de l’Esprit de charité, il chante déjà sur le psaltérion à dix cordes le cantique nouveau.
2. Voici en effet ce que dit l’Apôtre : « Qui aime le prochain accomplit la loi. En effet : Tu ne commettras point d’adultère, tu ne feras point d’homicide, tu ne déroberas point, tu ne convoiteras point, et.s'il est quelque autre commandement, tout se résume dans cette parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. L’amour du prochain n’opère pas le mal. La charité est donc la plénitude de la loi [5]. » Le Seigneur avait dit : « Je ne suis pas venu abolir la loi, mais l’accomplir[6] ; » c’est pourquoi il donna à ses disciples un commandement où ils puiseraient la force d’accomplir la loi : « Je vous donne, leur dit-il, un commandement nouveau, c’est que vous vous aimiez les uns les autres[7]. »

  1. Ps. 143, 9
  2. Gal. 4, 22-24
  3. Rom. 8, 15
  4. 1 Jn. 4, 18
  5. Rom. 12, 8, 10
  6. Mt. 5, 17
  7. Jn. 13, 34