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« Leurs fils sont comme de jeunes plantes bien affermies : » c’est une génération qui succède à un autre ; on a des enfants nombreux et de nombreux petits-enfants ; on est rassuré contre les dangers de mort. Comme si un seul accident n’enlevait pas maintes fois des milliers d’hommes ! « Leurs filles sont parées comme la statue d’un temple. » Passons rapidement. Il faut ménager la pudeur des femmes. Qu’elles se contentent de savoir ce qu’elles portent : nous rougissons de le rappeler. « Leurs filles sont parées comme la statue d’un temple. Leurs greniers sont pleins, ils regorgent de toutes parts. » Ainsi l’on dit des riches : Il n’a plus de place, il ne sait ce qu’il a. Un grenier est rempli, il déborde de fruits, ses richesses surabondent, les celliers regorgent de toutes parts.
26. « Leurs brebis sont fécondes ; on les voit multipliées quand elles sortent : » elles entrent peu nombreuses, elles produisent et sortent en grand nombre ; « on les voit multipliées quand elles sortent. » La première année il y en avait tant, il y en a tant cette année. On est dans la joie, dans les transports : c’est Goliath qui s’enfle et qui fier de ce bonheur provoque au combat. Qui pourrait, dit-il, qui oserait m’attaquer ? N’est-ce pas ce que disent ces riches de la terre ? N’est-ce pas ce que chaque jour chacun d’eux pense en soi-même ? Il possède quelque chose de plus que son voisin ; ne dit-il pas : qui peut m’attaquer ? et si ce voisin me fait une injure, ne le lui ferai-je pas sentir ? Ah ! c’est ici Goliath provoquant au combat. Mais David est en marche : sans armes proprement dites, il n’a que quelques pierres ; mais il est juste et il abattra tout cet orgueil. Ainsi ont fait les martyrs ; ils ont renversé les impies, vaincus au moment même où ils paraissaient vainqueurs, parce que les martyrs triomphaient en eux-mêmes, du diable leur chef.
27. Considérez encore cette félicité. « On voit leurs brebis multipliées quand elles sortent ; leurs bœufs sont gras ; point de brèche dans leur clôture », car ce mot s’emploie souvent pour celui de muraille. « Dans leur clôture point de brèche ni d’ouverture. » Tout est en bon état, tout est achevé, tout est rempli. « Point non plus de cri sur leurs places publiques : » ni querelles ni tumultes. N’est-ce pas ici la peinture du bonheur de l’innocence ? On ne peut donc se dire que le prophète a parlé de ceux qui ravissent le bien d’autrui ; non ce n’est pas de cela qu’il parle ; ailleurs il en est fait mention. Car il est manifeste que des châtiments sont réservés aux scélérats ; et ce qui doit leur faire voir la rigueur des peines qui les attendent, c’est que l’innocent même est réprouvé de Dieu, compté parmi les fils de l’étranger, lorsqu’il use de ces biens avec orgueil et sans règle. Ce riche de l’Évangile cherchait-il à s’emparer des moissons d’autrui, lui qui avait hérité de vastes et fertiles domaines ? Quand il ne pouvait plus loger ses récoltes et qu’il ne voyait, pas ces pauvres où il aurait dû conserver ses trésors pour le ciel ; quand il disait dans son embarras : « Je détruirai mes greniers, j’en construirai de nouveaux et de plus vastes et je les remplirai », n’était-ce pas de ses moissons qu’il voulait les remplir ? « Et je dirai à mon âme : Tu as beaucoup de bien, rassasie-toi. Mais Dieu lui dit : Insensé, cette nuit « même on te redemandera ton âme, et ce que tu as amassé, à qui sera-t-il [1] ? » Ainsi donc, mes frères, l’Évangile jette le mépris sur celui qui met sa joie dans – la prospérité temporelle, quoique sa richesse lui vienne de ses propres domaines et non des rapines faites sur autrui ce psaume verse également le dédain sur la félicité temporelle, afin d’apprendre l’âme renouvelée et régénérée par le lait de la grâce à désirer une autre béatitude, la béatitude inaltérable et éternelle. Aussi considère comme tout s’enchaîne : « Leur fils sont comme de nouvelles plantes bien affermies ; leurs filles sont parées comme la statue d’un temple ; leurs greniers sont remplis, ils débordent de tous côtés ; leurs brebis sont fécondes, on les voit multipliées quand elles sortent ; leurs a bœufs sont gras ; dans la clôture ni brèche ni ouverture ; aucun cri sur leurs places publiques ; et ils ont proclamé heureux le peuple qui jouit de ces biens. » Mais quels sont ceux qui ont ainsi parlé ? « Ceux dont la bouche parle vanité ; » car il en a été question un peu plus haut.
28. Et toi, prophète, que dis-tu ? Que dis-tu en face de ces hommes « qui ont proclamé heureux le peuple qui jouit de ces biens ? » Ce que je dis ? « Heureux le peuple dont le Seigneur est le Dieu. » Ainsi donc il est heureux le peuple qui au lieu d’avoir des fils et des filles parées, des bœufs gras, des brebis fécondes, des greniers remplis, des édifices achevés ; au lieu de la paix, des procès,

  1. Lc. 12, 16-20