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bon de trouver sur le chemin un sac de monnaie et tu dis après l’avoir trouvé : Dieu me l’a donné. Mais peux-tu le trouver sans qu’un autre le perde ? Pourquoi donc ne désirer pas ces trésors que tous peuvent posséder avec toi sans les diminuer ? Tu cherches de l’or, cherche plutôt la justice. Tu ne peux obtenir de l’or si un autre ne le perd : embrassez tous deux la justice, enrichissez-vous tous deux.
22. Revenons à notre psaume, pour faire comprendre à votre charité que n’imaginer d’autre félicité que ta félicité présente, c’est être Philistin, ou étranger. Tu prétends mériter que Dieu te donne aussi les biens temporels : comment en userais-tu ? S’il ne te les a pas octroyés, sache qu’il importe à ton salut que ce bon Père ne te les attribue pas. Quand ton fils pleure pour obtenir de toi un beau couteau au manche doré, ne le laisses-tu pas pleurer tant qu’il veut sans lui donner ce qui pourrait le blesser ? « Délivrez-moi, Seigneur de la puissance des fils de l’étranger, dont la bouche parle vanité et dont la droite est la droite de l’iniquité. » Qu’entend-on ici par droite et par vanité ? L’auteur l’expose. Il appelle la félicité de ce siècle la droite de l’iniquité ; non que cette félicité ne soit jamais pour les justes ; mais les justes, quand ils la possèdent, la tiennent de la main gauche, non de la droite. Dans leur droite est l’éternelle félicité, dans leur gauche, la prospérité temporelle. Or le désir des biens et du bonheur éternels ne se doit pas mêler au désir des biens temporels ou de la félicité présente qui dure si peu. De là ces paroles : « Que ta gauche ignore ce que fait ta droite [1]. – Leur droite est donc « la droite de l’iniquité. ».
23. Entendez maintenant comment ils parlent vanité et comment leur droite est la droite de l’iniquité. Écoutons tous, cela vous est utile. Écoutez et ne prétextez pas que vous n’avez point entendu. Souvenez-vous qu’il a été dit au serviteur paresseux : « Tu aurais dû donner et je réclamerais ; » et nous l’avons observé hier, c’est nous qui sommes les serviteurs appelés à donner ; un autre que nous réclame. En refusant d’écouter, nos sueurs semblent vouloir échapper aux réclamations ; mais c’est sans raison, mes frères, personne ne peut s’autoriser par ce moyen. Autre chose est de n’avoir pas reçu et autre chose de n’avoir pas voulu recevoir. Refuser le don de Dieu, c’est se rendre coupable par ce refus même. « Pourquoi n’as-tu pas donné [2] ? » a-t-il été dit au mauvais économe. Pourquoi n’as-tu pas reçu ? dira-t-on à qui il devait distribuer. Tu aurais une excuse, si personne n’était là pour donner. Mais si les lecteurs se font entendre lors même que se taisent les prédicateurs ; si la parole de Dieu est prêchée partout ; s’il est vrai de dire que « leur voix a retenti par toute la terre », que la chaleur de la divine parole se répand de tous côtés, « et que personne ne peut se soustraire à cette chaleur[3] ; » quel prétexte faire valoir au jugement de Dieu ? Frères, écoutons et pratiquons ; ne nous excusons pas si nous voulons avoir confiance. N’est-il pas vrai encore qu’en mendiant une obole à ta porte, le pauvre te chante souvent les divins préceptes ?
24. Encore une fois, écoutons : « Leur bouche parle vanité et leur droite est la droite de l’iniquité. » En quoi consiste cette félicité mondaine où mettent leur espoir ceux qui parlent vanité et dont la droite est la droite de l’iniquité ? L’auteur sacré commence à la décrire ainsi« Leurs fils sont comme de jeunes plantes bien affermies. » Ici rien de coupable. Il n’est parlé ni de fraudes, ni de parjures, ni de rapines, ni d’autres crimes : c’est une félicité qui peut être le partage des justes. Si pourtant il faut la dédaigner, combien ne sont pas à plaindre ceux qui vont jusqu’à se livrer aux rapines, aux larcins, aux violences, aux homicides, aux adultères et aux autres crimes que condamne la félicité même du siècle ?
25. Quel ne doit donc pas être l’homme de la vie nouvelle, l’homme que rappellent les pierres placées dans la panetière, que Dieu comble de sa grâce et qu’il nourrit d’un lait divin ! Attention encore ! « Leurs fils sont comme de jeunes plantes bien affermies ; leurs filles sont parées comme les statues d’un temple. » C’est peut-être à cause de ceci que nos sœurs refusaient de venir : qu’elles écoutent donc de bonne volonté ou de force, et qu’elles apprennent à venir à la maison du Seigneur, non avec l’orgueil de Goliath, mais avec l’humilité de David. Est-il ici besoin d’éclaircissements ? Y a-t-il rien d’obscur ? Quand les hommes parlent vanité, ils sont traités d’étrangers, ils ne font point partie de l’héritage du Christ, ni du royaume de Celui à qui nous disons : « Notre Père ; » ils comptent comme étrangers. Et que nomment-ils félicité ?

  1. Mt. 6, 3
  2. Lc. 19, 23
  3. Ps. 18, 5, 7