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Jésus-Christ. Pendant la lecture de l’Évangile, n’avons-nous pas tous estimé le bonheur de Zachée sur qui le Christ jeta les yeux lorsqu’il était sur un arbre, attentif à le voir passer ? Comment ce publicain aurait-il espéré donner dans sa demeure l’hospitalité au Fils de Dieu ? Et quand le Sauveur lui disait : « Descends, Zachée, il faut qu’aujourd’hui je loge dans ta maison : » j’ai entendu le sourd murmure de vos félicitations [1]. Comme si vous étiez tous dans la personne de Zachée pour recevoir Jésus-Christ, tous vos cœurs ont dit : O heureux Zachée ! Le Seigneur est entré dans sa demeure. O heureux Zachée ! Pouvons-nous jouir du même bonheur ? Le Christ est au ciel. O Jésus ! rappelez-moi le Testament nouveau ; rendez-moi heureux par votre loi. Lis toi-même et sache que tu n’es pas privé de la présence du Christ. Écoute ce qu’il dira an moment du jugement : « Ce que vous avez fait à l’un de ces petits, vous me l’avez fait [2]. » Chacun de vous s’attend à recevoir le Christ assis au Ciel : voyez-le d’abord gisant sous les portiques ; voyez-le souffrant la faim et le froid ; voyez-le indigent et étranger. Faites vos aumônes accoutumées et plus encore. Que les bonnes œuvres croissent avec l’instruction. Vous louez celui qui vous la donne ; montrez que vous en profitez. Ainsi soit-il.


SERMON XXVI. NÉCESSITÉ DE LA GRÂCE[3].

ANALYSE. – Après avoir expliqué les paroles de son texte dans ce sens que Dieu nous a donné l’existence et qu’il ne saurait être porté à nous délaisser, le saint Docteur annonce que les mêmes paroles renferment un sens plus profond. – I. Il expose et prouve ce sens. Si nous n’avons pu rester bons quand Dieu nous avait créés tels, bien moins encore pouvons-nous le redevenir après avoir été pervertis par le péché. Aussi la grâce nous est indispensable pour pratiquer la justice ; et par grâce il ne faut pas entendre la nature, commune à tous les hommes, mais un effet spécial de l’amour de Dieu, obtenu et accordé par Jésus-Christ. – II. On fait contre cette grâce deux objections principales. On dit d’abord que l’existence n’étant point méritée, c’est une grâce et que par le libre arbitre nous pouvons nous sauver. L’insuffisance hautement proclamée de la loi ne prouve-t-elle pas que le libre arbitre, quoique accordé sans aucun mérite de notre part, ne saurait nous sauver ? – On dit ensuite qu’il serait impossible de comprendre pourquoi la grâce est accordée à l’un et refusée à l’autre. Mais peut-on mieux comprendre la distribution des dons naturels ? Donc ne nous attribuons rien et rendons grâces à Dieu de ses bienfaits.


1. En chantant les louanges de. Dieu, nous nous sommes excités les uns les autres à l’adorer, à nous prosterner devant lui, et à pleurer devant le Seigneur, qui nous a faits. Or ce psaume nous avertit, d’examiner un peu plus attentivement ce que signifient ces mots : Qui nous a faits. C’est Dieu qui a créé l’homme ; l’ingrat seul pourrait en douter. Les saints livres et notre foi nous enseignent également qu’entre beaucoup d’autres créatures Dieu a fait l’homme à son image[4]. Telle est la première condition de l’homme, telle est la première création humaine. Je le crois néanmoins ; ce n’est pas cela principalement que le Saint-Esprit a voulu nous rappeler en disant dans ce psaume : « Pleurons devant le Seigneur qui nous a faits ; » car il dit ailleurs : « C’est lui-même qui nous a faits, ce n’est pas nous[5]. » Aussi, je le répète, aucun chrétien ne doute que Dieu a créé le premier homme de qui sont issus tous les autres, et qu’aujourd’hui encore il crée chaque homme en particulier. C’est pourquoi il dit à l’un de ses saints : « Je te connais avant de te former dans le sein maternel. [6] »
Ainsi donc il a d’abord créé l’homme sans aucun homme ; il crée maintenant l’homme par l’homme. Mais qu’il crée l’homme sans l’homme ou l’homme par l’homme, « C’est lui qui nous a faits, ce n’est pas nous. » Et selon ce sens premier et facile, mais vrai, « adorons-le », mes frères, « prosternons-nous devant lui et pleurons devant le Seigneur qui nous a faits. » En effet il ne nous a pas faits pour nous abandonner ; il n’a pas pris soin de nous créer sans prendre soin de nous conserver. « Pleurons devant le Seigneur qui nous a faits. » Nous n’avons pas pleuré avant d’être créés, et pourtant il nous a créés. Mais Celui qui nous a faits sans en être prié, nous abandonne-t-il quand nous l’implorons ? Afin

  1. Lc. 20, 6
  2. Mt. 25, 40
  3. Ps. 94, 6, 7
  4. Gen. 1, 26, 28
  5. Ps. 99, 3
  6. Jér. 1, 5