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quelque côté qu’il aille, il traîne avec lui la guerre. Je ne parle pas ici du méchant ; le bon lui-même, le juste expérimente ce que dit l’Apôtre : « La chair convoite contre l’esprit, et l’esprit contre la chair. » Durant cette guerre comment les jours peuvent-ils être heureux ?
5. Il est donc des jours mauvais, mais c’est pour nous adoucir. Quoi ! pour nous adoucir ? Oui, si nous ne nous irritons point contre la divine justice ; si nous lui disons : « Il m’est bon que vous m’ayez humilié, afin que j’apprenne vos jugements [1] ; » vous m’avez chassé du paradis, vous m’avez éloigné de la béatitude ; je suis dans l’angoisse, dans les gémissements et mes gémissements ne vous sont point inconnus. Mais « il m’est bon que vous m’ayez humilié, afin que j’apprenne vos jugements. » J’apprends, durant les jours mauvais, à rechercher les jours heureux. – Que sont ces jours heureux ? Ne les cherchez point pour le moment ? Croyez-moi, ou plutôt croyez-le avec moi, vous ne les trouveriez point. Les jours mauvais passeront, puis viendront les jours heureux ; ils viendront pour les bons, car aux méchants sont réservés des jours plus malheureux encore.
6. En effet je vous demande à mon tour : « Quel est l’homme qui désire la vie ? » Je sais que tous les cœurs me répondent : Eh ! quel est l’homme qui ne la désire point ? J’ajoute : « Et qui aime à voir des jours heureux ? » Tous vous me répondez encore : Eh ! quel est celui qui n’aime pas à voir des jours heureux ? C’est bien : vous voulez la vie, vous voulez des jours heureux. Quand je disais : « quel est l’homme qui désire la vie ? chacun me répondait, je n’en doute pas : C’est moi. « Quel est l’homme qui veut voir des jours heureux ? » Chacun encore né dit-il pas en silence : C’est moi ? Écoute donc ce qui suit : « Préserve ta langue de toute parole mauvaise. » Dis donc : Oui. Tu cherches le pardon ; je vais te le trouver. Ce qui est passé est passé : si tu as été méchant, rapporteur, accusateur, calomniateur, médisant ; c’est assez. Que tout cela passe avec les jours mauvais ; toi seulement ne passe pas avec eux. Car la peux te retenir pour n’être pas emporté. Les choses humaines passent comme un fleuve ; comme un fleuve s’écoulent les jours mauvais : Pour n’être pas entraîné, saisis le bois. Les flots se précipitent : car « toute chair n’est que de l’herbe et toute beauté charnelle est comme la fleur des champs. » Tout passe, tout se précipite : « l’herbe se dessèche, la fleur tombe. » Où m’arrêter ? « La parole du Seigneur demeure éternellement [2]. »
7. Préserve donc ta langue de tout ce qui est mal, et tes lèvres de tout mensonge. Toi qui voulais ou plutôt qui veux la vie et les jours heureux, « fuis le mal et fais le bien. Cherche « la paix », la paix que nous souhaitons, même dans cette chair mortelle, même dans ce corps fragile, au milieu de tant de vanités et de mensonges. Recherchez tous la paix. « Cherche la paix et la poursuis[3]. » Où est-elle ? Où la chercher ? Par où a-t-elle passé ? Par où a-t-elle passé, afin que je la poursuive ? C’est par toi qu’elle a passé, mais elle n’y a point demeuré. À qui s’adresse ce langage ? Au genre humain ce n’est pas à chacun de nous, mais au genre humain. La paix a donc passé à travers le genre humain ; pendant qu’elle passait, l’aveugle dont il était parlé hier a fait entendre ses cris. Et où est-elle allée ? Cherche d’abord quelle est cette paix, vois ensuite où elle est allée et suis-la. Quelle est-elle ? Écoute l’Apôtre ; il disait du Christ. « Il est notre paix, il a uni les deux[4]. » Le Christ est donc cette paix. Où est-elle allée ? Il a été crucifié et enseveli, il est ressuscité des morts et monté au ciel. C’est là qu’est allée la paix. Comment la suivre ? Élève ton cœur ; tu l’apprendras. On te l’apprend chaque jour en peu de mots, lorsqu’on te dit : Élève ton cœur ; élève-le plus haut encore et tu atteindras la paix ; écoute encore mieux et tu poursuivras la paix véritable, ta propre paix, la paix qui a soutenu pour toi les travaux de la guerre ; la paix qui en soutenant la guerre dont tu devais recueillir les fruits, a prié pour les ennemis de la paix et a dit du haut de la croix : « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font[5]. » On était en guerre, et la paix sortait de la croix. Elle en sortait. Ensuite ? Elle est montée au ciel. Cherche-la. Mais par quel moyen ? Écoute l’Apôtre : « Si vous êtes ressuscités avec le. Christ, cherchez les choses d’en haut, où le Christ est assis à la droite de Dieu ; goûtez les choses d’en haut, non les choses de la terre. Car vous êtes morts et votre vie est cachée en Dieu avec le Christ. Quand le Christ, qui est votre vie, apparaîtra, alors vous aussi vous apparaîtrez avec lui dans la gloire[6]. » Voilà les jours heureux, désirons-les ; et vivons pour y parvenir, prions dans ce but et faisons l’aumône.
8. Déjà voici l’hiver, par la grâce de Dieu : songez aux pauvres, cherchez à revêtir la nudité de

  1. Ps. 118, 71
  2. Is. 11, 6-8
  3. Ps. 33, 15
  4. Eph. 2, 14
  5. Lc. 23, 46
  6. Col. 3, 1-4