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monte, comme par les vents de sa folle vanité et périr enfin ; ainsi que périt en s’élevant cette colonne de fumée plus creuse que solide ? Telle est en effet la fumée : tu vois une grande colonne ; il y a peut-être quelque chose à voir, rien à saisir. Avant tout, chers frères, redoutez un pareil châtiment, n’excusez point vos fautes passées, et si vous en commettez encore, de grâce ne les excusez point. Soumettez-vous à Dieu et frappez-vous la poitrine de manière à ne plus commettre celles qui vous restent encore. Faites effort pour n’y plus succomber, n’en commettez aucune s’il est possible, et s’il ne vous est pas possible de les éviter absolument, ayez au moins recours à ce pieux aveu. En travaillant à te corriger de tous, en te corrigeant autant que la grâce divine te rend capable de le faire, tu obtiendras un nouveau regard de la miséricorde du Seigneur, et s’il te trouve en marche et faisant des efforts, il te pardonnera aisément celles dont tu ne serais, pas entièrement délivré. Seulement, mets tes soins à avancer, non à reculer ; et si le dernier jour ne te trouve pas complètement vainqueur, qu’il te trouve combattant, que tu ne sois alors ni pris ni rendu.
9. La miséricorde, de Dieu est inépuisable ; immense est sa bonté, car il nous a rachetés par le sang de son Fils alors que pour nos péchés nous méritions d’être anéantis. En créant l’homme à son image et à sa ressemblance, il a fait quelque chose de grand. Mais en péchant nous avons voulu n’être rien, nous avons emprunté à nos parents le germe de la mortalité, nous sommes devenus une masse de péchés, une masse de colère. Il lui a plu néanmoins de nous racheter, par miséricorde, au plus haut prix : il a donné pour nous le sang de son Fils unique, qui est né dans l’innocence, qui a vécu dans l’innocence, qui est mort dans l’innocence. Après nous avoir achetés si cher, voudrait-il nous laisser périr ? Il ne nous a point rachetés pour nous perdre, mais pour nous faire vivre. Si le péché triomphe de nous, Dieu pour cela ne dédaigne point la rançon qu’il a donnée pour nous ; elle est trop précieuse. Gardons-nous toutefois de compter trop sur sa clémence si nous ne luttons contre nos péchés : si surtout nous avons commis certains crimes énormes, n’espérons point qu’il nous fera miséricorde en s’associant à notre iniquité. En vérité, est-ce que les impies qui n’ont rien fait pour se corriger pendant leur vie, qui ont persévéré dans l’opiniâtreté et la dureté de cœur, qui ont même accusé Dieu en excusant leurs péchés, peuvent être placés par lui avec les saints martyrs, avec les saints Apôtres, avec les prophètes et les patriarches, avec les fidèles qui l’ont bien servi et bien mérité de lui, qui ont vécu dans la chasteté, la modestie, l’humilité, qui ont fait l’aumône et pardonné à quiconque les faisait souffrir ? Telle est effectivement la voie des justes ; telle est la voie des saints qui ont Dieu pour père et l’Église pour mère, qui n’offensent ni l’un ni l’autre, qui vivent dans l’amour de tous deux, et qui sans blesser leur père, sans blesser leur mère, hâtent le pas vers l’éternel héritage : à chacun d’eux cet héritage est donné.
10. Ainsi deux parents nous ont engendrés pour la mort ; deux parents nous ont engendrés pour la vie. Adam et Ève sont les parents qui nous ont engendrés pour la mort ; le Christ et l’Église sont les parents qui nous ont engendrés pour la vie. Dans le père qui m’a engendré pour la mort, je vois Adam ; Ève dans ma mère. Nous sommes issus d’une race charnelle. C’est à la vérité par un bienfait de Dieu, car nous ne devons ce bienfait qu’à Dieu. Cependant comment sommes-nous venus au jour ? Sans aucun doute, c’est pour mourir. Ceux qui nous ont précédés nous ont engendrés pour leur succéder : était-ce pour qu’éternellement nous vécussions sur la terre avec eux ? Ils devaient s’en aller, et ils ont voulu être remplacés. Ce n’est pas pour cela que nous engendrent Dieu notre père et l’Église notre mère ; c’est pour la vie éternelle, car eux-mêmes sont éternels ; et cette éternelle vie est l’héritage qui nous est promis par le Christ. Le Verbe s’est fait chair et a habité parmi nous [1], il a été nourri, il a grandi, il a souffert, il est mort, il est ressuscité, il a reçu pour héritage le royaume des cieux. C’est comme homme qu’il est ressuscité et qu’il a reçu l’éternelle vie ; c’est comme homme et non comme Verbe ; comme Verbe il demeure immuable d’une éternité à l’autre éternité. Or comme cette sainte humanité est ressuscitée pour la vie éternelle, il nous a été promis de ressusciter également et de monter au ciel pleins de vie. Nous attendons le même héritage, la vie immortelle. Tout le corps n’est pas encore monté le chef est au ciel, les membres sur la terre ; le chef n’abandonnera pas le corps, seul il ne prendra point possession de l’héritage. Le Christ entier y sera admis, le Christ entier dans l’humanité,

  1. Jn. 1, 14