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« Si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi, car c’est de moi qu’il a écrit. [1] » Pourquoi alors ne le reconnaîtrais-je point lui-même dans ce Principe en qui Dieu le Père a fait le ciel et la terre ? En effet, qui a écrit : « Dans le Principe Dieu a « fait le ciel et la terre ? » C’est sûrement Moïse dont le Seigneur a dit qu’il a écrit de lui. Lui-même encore n’est-il pas le Principe ? On ne peut en douter puisque au témoignage de l’Évangile, les Juifs lui ayant demandé qui il était, lui-même répondit : « Le Principe, car c’est moi qui vous parle[2]. » Voilà le Principe en qui Dieu a fait le ciel et la terre. Ainsi Dieu a fait le ciel et la terre dans ce Fils par qui tout a été fait et sans qui rien ne s’est fait. Ainsi la Genèse s’accorde avec l’Évangile, et nous devons pour être héritiers suivre également les deux Testaments, laisser les divisions et les calomnies aux hérétiques, exclus du divin héritage.
3. Que votre prudence ne s’étonne pas toutefois d’une insignifiante diversité d’expressions. Jean n’a pas dit : Tout a été fait en lui, mais « Tout a été fait par lui, » et nous ne lisons pas dans la Genèse : Dieu a fait par le Principe le ciel et la terre ; mais : « Dans le principe Dieu a fait le ciel et la terre. » Mais l’Apôtre ne dit-il pas aussi : « Pour nous faire connaître le mystère de sa volonté, selon sa bienveillance par laquelle il a résolu en lui-même, dans la dispensation de la plénitude des temps, de restaurer dans le Christ tout ce qui est dans les cieux, et en lui tout ce qui est sur la terre[3] ? » Puisqu’ici tu entends en lui dans le sens de par lui; pourquoi, dans le texte de Jean, par lui ne signifierait-il pas en lui ? Par lui ne m’empêche pas de comprendre que tout a été fait en lui; et quand je lis dans la Genèse que c’est en lui qu’ont été faits le ciel et la terre, qui m’empêche de voir que c’est aussi par lui ? Les Manichéens veulent-ils donc faire cesser la lutte entre les deux Testaments, pour la reporter entre les bienheureux martyrs du Nouveau, entre Paul et Jean, entre Paul qui a dit : En lui, et Jean qui a écrit : Par lui? Pour nous ; en ne croyant pas que Paul et Jean soient opposés entre eux, nous forçons par là même les Manichéens à reconnaître l’accord de Moïse et de Paul. Et autant ces deux derniers s’entendent, autant l’Évangéliste Jean est en harmonie avec eux ; car ses expressions par lui peuvent être considérées comme synonymes de en lui.
4. Ainsi toutes les divines Écritures sont en paix entre elles. Mais qu’arrive-t-il lorsque dans l’obscurité de la nuit nous contemplons le cours des nuages ? Ils obscurcissent et troublent tellement notre vue, que les astres nous paraissent marcher en sens contraire. Tels sont ces hérétiques : ils ne trouvent point la paix dans les ténèbres de leurs erreurs, et ils s’imaginent que la guerre est plutôt au sein des Écritures.
5. Ils disent peut-être : Ce n’est pas du Verbe de Dieu qu’il est écrit : « Dans le principe Dieu a fait le ciel et la terre. » Eh bien ! Suppose que le principe ne désigne pas ici le Fils unique de Dieu ; suppose que c’est du principe même du temps qu’il est écrit : « Dans le principe Dieu a fait le ciel et la terre. » Sans doute le temps n’existait point quand n’existait encore aucune créature ; qui oserait avancer que le temps est coéternel à Dieu, le Créateur des temps ? Néanmoins le temps a commencé avec le ciel et la terre. Si donc on soutient cette interprétation, tout en maintenant la distance du Créateur à la créature et en n’attribuant pas à l’œuvre de Dieu l’éternité de son Auteur, on ne pourra se dispenser au moins de voir la pluralité des divines personnes dans les passages suivants : « Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance ; Dieu fit l’homme à l’image de Dieu[4]. » Et lors même qu’on ne l’y verrait pas, lorsque la Trinité ne se révélerait aux regards des esprits pénétrants que sous le nom de l’unité, quelle opposition peut voir un homme sage entre le commencement de la Genèse et le commencement de l’Évangile ? Il faudrait être, pour l’apercevoir, d’une aveugle témérité. En effet, combien d’exemples de locutions pareilles ne nous fournit point l’Écriture ? Le Seigneur s’exprime ainsi lui-même : « Et moi je vous dis de ne jurer en aucune façon, ni par le ciel, parce que c’est le trône de Dieu ; ni par la terre, parce que c’est l’escabeau de ses pieds[5]. » Parce que le Christ ne se nomme point ici, dira-t-on qu’il n’a point son trône dans le ciel ? L’Apôtre dit aussi : « O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses jugements sont incompréhensibles et ses voies impénétrables ! Car qui a connu la pensée du Seigneur ou qui a été son conseiller ? Ou qui le premier lui a donné et sera rétribué ? puisque c’est de lui et par lui et en lui que sont toutes choses, à lui la gloire dans les siècles des siècles[6]. » Ici

  1. Jn. 5, 46
  2. Jn. 8, 26
  3. Eph. 1, 9, 18
  4. Gen 1, 26-27
  5. Mt. 5, 34-36
  6. Rom. 11, 33-36