Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome V.djvu/319

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


question, on ne s’excuse pas en disant qu’on ne veut pas donner les choses saintes aux chiens ou jeter des perles devant les pourceaux. En effet celui qui peut répondre doit répondre, au moins pour les autres, qui se décourageraient s’ils venaient à se persuader que la question proposée est sans solution. Je suppose qu’il s’agit de choses utiles et qui touchent la doctrine du salut ; car des oisifs peuvent faire bien des questions superflues, inutiles et souvent même nuisibles ; et cependant il faut y répondre quelque chose, au moins pour expliquer et faire comprendre qu’on doit s’en abstenir. Il est donc quelquefois à propos de répondre quand on est interrogé sur des matières utiles, comme le fit le Seigneur lorsque les Sadducéens lui demandaient à qui appartiendrait, lors de la résurrection, une femme qui avait eu sept maris. Il leur répondit qu’à la résurrection on ne prendra point de femme, qu’on ne se mariera pas, mais qu’on sera comme des anges dans le ciel Quelquefois il faut interroger sur un autre sujet celui qui questionne, afin qu’il se réponde ainsi à lui-même, si toutefois il répond ; et que s’il ne répond pas les témoins ne trouvent pas mauvais qu’on laisse sa question sans réponse. C’est ainsi que quand on demandait au Christ, pour le tenter, s’il fallait payer le tribut, il demanda à son tour de qui était l’image empreinte sur la pièce de monnaie qu’on lui présentait. En disant que c’était celle de César, les Pharisiens répondirent à leur propre question ; et le Christ tirant la conclusion, leur dit : « Rendez donc à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu[1]. » Une autre fois les princes des prêtres et les anciens du peuple lui ayant demandé par quelle autorité il faisait ces choses, il leur fit une question sur le baptême de Jean ; et comme ils ne voulaient pas lui répondre, parce que leur réponse aurait tourné contre eux et qu’ils n’osaient pas dire du mal de Jésus à cause de la foule, il leur dit : « Ni moi non plus je ne vous dirai par quelle autorité je fais ces choses[2]. » Or, ceux qui étaient là trouvèrent que c’était très juste ; car les pharisiens prétendaient ignorer ce qu’ils savaient parfaitement, mais qu’ils ne voulaient pas dire. Au fait il était juste que, demandant une réponse à leur question, ils fissent d’abord ce qu’ils exigeaient eux-mêmes ; et en le faisant ils se seraient répondu. En effet ils avaient envoyé demander à Jean qui il était ; ou plutôt ils lui avaient envoyé des prêtres mêmes et des lévites, dans la pensée qu’il était le Christ : ce qu’il nia formellement, en rendant témoignage au Seigneur[3]. Or, en avouant ce témoignage, ils auraient compris par quelle autorité le Christ agissait ; mais ils feignirent de l’ignorer et posèrent une question pour avoir occasion de calomnier le Sauveur.



CHAPITRE XXI. DU PRÉCEPTE DE LA PRIÈRE.

71. A propos de cette défense de donner les choses saintes aux chiens et de jeter des perles devant les pourceaux, un auditeur ayant la conscience de son infirmité, et s’entendant défendre de donner ce qu’il n’a pas encore, aurait pu se présenter et dire : quelles sont donc ces choses saintes que je ne dois pas donner aux chiens, ces perles que vous me défendez de jeter aux pourceaux ? Je ne m’aperçois encore pas que je les aie : c’est donc très à propos que le Seigneur ajoute : « Demandez et il vous sera donné ; cherchez et vous trouverez ; frappez et il vous sera ouvert. » Car quiconque demande reçoit ; et qui cherche trouve ; et à qui frappe il sera ouvert. Demander a pour objet d’obtenir la santé et la force de l’âme, afin de pouvoir accomplir les commandements : chercher a pour but de découvrir la vérité. En effet le bonheur parfait consistant dans l’action et la connaissance, l’action exige la libre disposition des forces, et la contemplation, la manifestation des choses ; il faut donc demander l’un pour l’obtenir, et chercher l’autre pour le trouver. Or la connaissance en cette vie, est moins celle du bien à posséder que celle de la voie à suivre ; mais quand on aura trouvé la véritable voie, on parviendra à la possession du bien qui cependant ne s’accordera qu’à celui qui frappe.

72. Pour rendre sensibles ces trois choses demander, chercher, frapper, donnons un exemple. Supposons un homme infirme des pieds, et ne pouvant marcher ; il faut d’abord le guérir et le consolider pour qu’il marche : c’est l’objet de ce mot : « demandez. » Mais à quoi sert de marcher et même de courir, si l’on s’égare dans une fausse route ? Le second point est donc de trouver le chemin qui mène au but où l’on veut parvenir. Quand on l’a trouvé, et qu’on arrive au domicile qu’on veut habiter, si celui-ci est fermé, il ne servira à rien d’avoir pu marcher,

  1. Mat. 22, 16-34
  2. Ib. 21, 23-27
  3. Jn. 1, 19-27