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tout ce qui passera est immuablement présent ?
13. Mais comme il doit lui-même nous apprendre à prier par des mots, quoique en petit nombre, on peut demander quel besoin il y a de ce peu de mots avec Celui qui sait toutes choses avant qu’elles arrivent, et connaît, il le dit lui-même, ce qui nous est nécessaire avant que nous le lui demandions ? Nous répondons d’abord que ce n’est point par des paroles qu’il faut traiter avec Dieu pour obtenir ce que nous désirons, mais par ce qui se passe en notre âme, par la direction de notre pensée accompagnée d’amour pur et de simple affection ; et de plus que le Seigneur nous a appris les choses par les mots, afin que les mots, confiés à notre mémoire, nous rappellent les choses au moment de la prière.
14. On peut insister et dire : Qu’il faille prier par des choses ou par des mots, à quoi bon la prière, si Dieu sait ce qui nous est nécessaire ? Non répondons que l’attention même de la prière calme et purifie notre cœur et le rend plus apte à recevoir les dons célestes qui nous viennent spirituellement ; car ce n’est pas parce qu’il ambitionne des prières que Dieu nous exauce, lui qui est toujours prêt à nous donner sa lumière, non celle qui est visible, mais la lumière intelligible et spirituelle. Seulement nous ne sommes pas toujours disposés à la recevoir, quand nous nous portons d’un autre côté et que la convoitise des choses temporelles nous remplit de ténèbres. La prière tourne donc notre cœur vers Celui qui est toujours prêt à nous donner, si nous sommes capables de recevoir ses dons ; et dans ce mouvement, le regard intérieur se purifie par l’exclusion des désirs temporels, en sorte que 1'œil du cœur simple puisse supporter la lumière simple qui brille d’en haut, sans déclin, sans changement ; et puisse la supporter non seulement sans incommodité, mais avec cette joie ineffable qui constitue véritablement et réellement le bonheur.


CHAPITRE IV. ORAISON DOMINICALE : NOTRE PÈRE.

15. Mais il est temps de voir quelle prière nous impose Celui par qui nous apprenons ce que nous devons demander et nous obtenons ce que nous demandons. « C’est ainsi donc que vous prierez, nous dit-il : Notre Père, qui êtes dans les cieux, que votre nom soit sanctifié ; que votre règne arrive ; que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel ; donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien, et remettez-nous nos dettes comme nous remettons nous-mêmes à ceux qui nous doivent, et ne nous induisez pas en tentation, mais délivrez-nous du mal. » Toutes les fois qu’on prie, il faut d’abord gagner la bienveillance do celui à qui on s’adresse, ensuite exposer l’objet de sa demande. Or, on gagne la bienveillance de celui qu’on prie, en faisant son éloge, et cet éloge le place ordinairement au commencement de la prière. Pour cela le Seigneur nous ordonne simplement de dire : « Notre Père qui êtes dans les cieux. A Bien des choses ont été dites à la louange de Dieu ; quiconque lit les saintes Écritures les y trouvera partout et sous des formes différentes ; et cependant on ne voit nulle part que le peuple d’Israël ait reçu ordre de dire Notre Père, ou de prier Dieu le Père ; on lui donne l’idée de Dieu comme d’un Maître commandant à des esclaves, c’est-à-dire à des hommes qui vivent encore selon la chair. Je parle du moment où ils recevaient les préceptes de la Loi avec l’ordre de les observer ; car les prophètes montrent que souvent notre Seigneur aurait pu être leur Père, s’ils ne s’étaient pas écartés de ses commandements. Tel est ce passage, par exemple : « J’ai engendré des enfants et je les ai élevés, et ils se sont révoltés contre moi[1] » et cet autre : « J’ai dit : vous êtes des dieux, vous êtes tous les enfants du Très-Haut[2] » et celui-ci encore : « Si je suis votre maître, où est votre crainte de moi ? Si je suis votre Père, où sont mes honneurs[3] ? » et une foule d’autres où l’on reproche aux Juifs prévaricateurs de n’avoir pas voulu être enfants de Dieu. Nous exceptons les textes qui s’appliquent prophétiquement au futur peuple chrétien en tant qu’il devait avoir Dieu pour Père, conformément à ces paroles évangéliques : « Il leur a donné le pouvoir d’être faits enfants de Dieu[4]. » De son côté, Paul l’Apôtre dit : « Tant que l’héritier est enfant, il ne diffère point d’un serviteur » puis il rappelle que nous avons reçu l’Esprit d’adoption dans lequel nous crions : Abba, Père[5]. »
16. Et comme notre vocation à l’héritage éternel, pour être cohéritiers du Christ et devenir enfants d’adoption, n’est point le fruit de nos mérites, mais l’effet de la grâce de Dieu : nous mentionnons cette grâce dès le début de la prière, en

  1. Isa. 1, 2
  2. Ps. 81, 6
  3. Mal. 1, 6
  4. Jn. 1, 12
  5. Rom. 8, 16-23 ; 4, 1-6