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de sa maison[1] ? » Ou bien devons-nous croire qu’obéissant à un violent sentiment d’envie, payant d’ingratitude des bienfaits si sensibles, bien qu’ils ne fussent pas encore chrétiens, ils ont péché contre le Saint-Esprit, à raison même de leur extrême jalousie ? On ne peut pas le conclure des paroles du Seigneur. Car quoiqu’il ait dit, en cet endroit même : « Quiconque aura prononcé une mauvaise parole contre le Fils de l’homme, elle lui sera remise : mais quiconque aura dit un mot contre le Saint-Esprit, il ne lui sera remis ni en ce siècle ni dans le siècle à venir » cependant on peut admettre que c’était là une exhortation adressée à ses auditeurs pour les engager à se rendre à la grâce et à ne plus commettre, après l’avoir reçue, les péchés dont ils s’étaient rendus coupables jusqu’alors Pour le moment ils avaient blasphémé contre le Fils de l’homme, et ils pouvaient en obtenir le pardon à condition de se convertir, de croire en lui – et de recevoir le Saint-Esprit. Mais si, après l’avoir reçu, ils venaient à briser le lien de – fraternité par jalousie, à combattre, la grâce obtenue, leur faute alors n’aurait été remise ni en ce siècle ni dans le siècle à venir. Si en effet le Seigneur les eût regardés comme condamnés sans espoir, il ne leur eût pas adressé l’avertissement qu’il leur donne ensuite : « Ou rendez l’arbre bon et son fruit bon ; ou rendez l’arbre mauvais et son fruit mauvais[2] ».
76. Comprenons donc que le précepte d’aimer nos ennemis, de faire le bien à ceux qui nous naissent, de prier pour ceux qui nous persécutent, n’exige pas que nous priions pour certains péchés de nos frères : autrement, par ignorance, nous mettrions la divine Écriture en contradiction avec elle-même ; ce qui ne peut pas être. Mais s’il en est pour qui on ne doit pas prier, en est-il contre qui on doive prier ? Jusqu’ici je ne suis pas encore assez éclairé là-dessus. On dit en général : « Bénissez et ne maudissez pas » et encore : « Ne rendant à personne le mal pour le mal[3]. » Mais ne pas prier pour quelqu’un ce n’est pas prier contre lui ; car il se peut que vous voyiez son châtiment assuré, son salut absolument désespéré ; et si vous ne priez pas pour lui, ce n’est point par haine, mais parce que vous êtes convaincu que vous ne lui seriez point utile, et que vous ne voulez pas que votre prière soit repoussée par le Juge souverainement juste. Mais que dire de ceux contre qui nous savons – que des saints ont – prié, non dans l’espoir d’obtenir leur correction, car alors ils eussent prié pour eux, mais en vue de leur damnation éternelle ; non encore, comme le prophète, contre celui qui a, livré – le Seigneur : car, comme nous l’avons dit, c’était, plutôt prédiction de l’avenir que désir, de punition ; ni enfin, comme l’Apôtre, contre Alexandre, ainsi que nous l’avons suffisamment expliqué ; mais comme les martyrs, mentionnés dans l’Apocalypse, qui demandent à être vengés t, bien que le premier.d'entr’euxait demandé grâce pour ceux qui le lapidaient ?
77. Que cette difficulté ne nous ébranle pas. En effet qui oserait affirmer que ces saints, ornés de la pourpre, crient vengeance contre les hommes, et non contre le règne du péché ? Car la vraie vengeance des martyrs, vengeance pleine de justice et de miséricorde, c’est la, destruction, du règne de péché, sous lequel ils ont tant souffert. C’est là que tendent les efforts de l’Apôtre, quand il dit : « Que le péché ne règne donc pas « dans votre corps mortel. » Or le règne du péché est détruit et renversé en partie par la correction des bons, quand la chair est soumise – à, l’esprit ; en partie par la damnation de ceux, qui persévèrent dans le péché, quand la justice les met si bien à leur place qu’ils ne peuvent, plus nuire aux justes qui règnent avec le Christ. Voyez l’apôtre Paul 1 Ne semble-t-il pas venger sur lui-même. Et #Rem il lune le martyr, quand il se dit Je combats, mais non comme frappant l’air ; « mais je châtie mon corps et le réduis, en servitude, 3. » Car il terrassait, il affaiblissait, et après la victoire, il réglait en lui précisément ce qui avait servi à persécuter Étienne et les autres chrétiens. Qui donc nous prouvera que ce n’est point une vengeance de cette espèce que les saints martyrs demandent au Seigneur, eux qui ont pu, dans le but de se venger, demander la fin de ce monde où ils ont souffert tant de malheurs ? En priant, ainsi, on prie pour ceux de ses ennemis qui sont susceptibles de guérison, et non contre ceux qui n’ont pas voulu se guérir : parce que Dieu en punissant ceux-ci n’est point un méchant bourreau, mais un juge souverainement juste. N’hésitons donc point à aimer nos ennemis, à faire du bien à ceux qui nous haïssent et à prier pour ceux qui nous persécutent.

  1. Apoc. 3,10
  2. Rom. 6, 12
  3. 1 Cor. 9, 26-27