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Seigneur, il ajoute : « Que je reçois de vous dans le Christ Jésus. »

53. Toutefois, je dis ceci pour les charnels, parce que le ciel est appelé le trône de Dieu et la terre l’escabeau de ses pieds, il ne faut pas s’imaginer que Dieu ait des membres qui reposent sur le ciel et la terre, comme les nôtres quand nous sommes assis : mais le siège qu’on lui attribue indique le jugement.. Et comme le ciel est la partie la plus belle de la création et la terre la moins belle, il semble que la puissance divine est plus présente à la partie la plus excellente et donne à l’autre un rang inférieur ; voilà pourquoi on dit, que Dieu est assis au ciel et a la terre sous ses pieds. Dans le sens spirituel on entend par ciel les âmes saintes, et par la terre les pécheurs ; et parce que l’homme spirituel juge de toutes choses et n’est jugé par personne[1], on a raison de l’appeler le siège de Dieu ; comme aussi de nommer l’escabeau de ses pieds le pécheur à qui il a été dit : « Tu es terre et tu iras en terre[2] » parce que la justice qui traite chacun selon ses mérites le rejette au rang inférieur, et que n’ayant pas voulu rester dans la loi, il est accablé sous le poids de la loi.


CHAPITRE XVIII. AMOUR DE LA JUSTICE ET MISÉRICORDE.

54. Enfin pour conclure sur ce sujet, que peut-on exprimer ou imaginer de plus laborieux et de plus pénible, de plus propre à exercer toutes les forces et toute l’industrie de l’âme fidèle, que, la nécessité de vaincre une mauvaise habitude ? Que le chrétien retranche donc tous les membres qui peuvent lui être un obstacle à la conquête du royaume des cieux, que la douleur ne l’abatte pas ; qu’il supporte, pour l’honneur de la foi conjugale, les plus graves incommodités, tout ce qui ne porte pas la marque d’une corruption honteuse, c’est-à-dire de la fornication par exemple qu’il conserve fidèlement une femme stérile, difforme, faible de constitution, aveugle, sourde, boiteuse, ou affligée de maladies, de souffrances, de langueurs, de tout ce qui peut s’imaginer de plus repoussant, excepté la fornication ; qu’il la supporte par fidélité à ses engagements, au lien qui les unit ; non seulement qu’il ne rejette point une femme de ce genre, mais s’il n’est pas marié, qu’il n’en épouse point une séparée de son mari, fût-elle d’ailleurs belle, bien portante, riche, féconde. Et si cela n’est pas permis, qu’il se permette bien moins d’avoir un commerce illicite quelconque ; qu’il fuie la fornication jusqu’à éviter tout acte criminel et honteux ; qu’il dit, la vérité, et l’appuie non par des serments fréquents, mais par l’honnêteté de ses mœurs ; qu’il abatte et domine, comme d’un lieu élevé, cette multitude de mauvais penchants qui lui font la guerre, (nous n’en avons mentionné qu’un petit nombre, mais par ceux-là on peut juger du reste) et qu’il réserve pour cela à la milice chrétienne comme une citadelle. Mais qui osera entreprendre une tâche aussi difficile, sinon celui qui brûle de l’amour de la justice au point d’être dévoré de faim et de soif, de regarder la vie comme rien, tant qu’il n’en est pas rassasié, et de se faire violence pour arriver au royaume des cieux ? Car autrement il n’est pas possible d’avoir la force nécessaire, pour supporter tout ce que les partisans de ce monde estiment pénible, dur et difficile dans l’extirpation des mauvaises habitudes. « Bienheureux donc ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés. »

55. Mais si quelqu’un éprouve à cela quelque difficulté, n’avance que par un sentier rude et escarpé, est assailli de tentations de toute sorte ; si voyant la vie passée s’élever à gauche et à droite, comme des montagnes, il redoute de succomber à la tâche : que celui-là suive un conseil dans le but de s’attirer du secours. Quel est ce conseil ? Qu’il supporte l’infirmité du prochain ; lui vienne en aide autant que possible, comme il désire lui-même l’aide d’en haut. Par conséquent recourons aux œuvres de la miséricorde. Or la douceur et la miséricorde semblent se confondre, Il y a cependant cette différence que l’homme doux, dont nous avons parlé plus haut, accepte avec piété et sans contradiction les arrêts divins portés contre ses péchés, et les paroles de Dieu qu’il ne comprend pas encore, mais sans rendre aucun service à celui à qui il se contente de n’opposer ni contradiction ni résistance ; tandis que le miséricordieux cède dans l’intention de corriger celui qu’il rendrait pire par la résistance.

  1. 1 Cor. 2, 15
  2. Gen. 3, 19