Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome V.djvu/214

Cette page n’a pas encore été corrigée

pareille ; comme après la résurrection il s’entendit demander par trois fois s’il aimait, et par trois fois, sans qu’aucune autre parole fut échangée, il reçut l’ordre de paître les agneaux et les brebis[1]. Dans cette interprétation, on s’explique parfaitement l’espèce de variété que l’on remarque dans les récits évangéliques, au sujet des paroles de saint Pierre et de celles du Sauveur, paroles citées assez diversement et dans des circonstances différentes. Rappelons-nous la suite du récit, tel que nous le trouvons en saint Jean : « Mes chers petits enfants, je ne suis plus que pour peu de temps avec vous. Vous me chercherez ; et comme j’ai déjà dit aux Juifs : vous ne pourrez venir où je vais, je vous le dis maintenant à vous-mêmes. Je vous fais un commandement nouveau, c’est que vous vous aimiez réciproquement, et qu’ainsi que je vous ai aimés, vous vous aimiez les uns les autres. Chacun pourra reconnaître que vous êtes mes disciples, si vous vous aimez les uns les autres. Simon Pierre lui dit : Seigneur, où allez-vous ? » Rien de si naturel que ce mouvement qui pousse saint Pierre à demander : « Seigneur, où allez-vous ? » puisqu’il venait d’entendre ces mots : « Où je vais, vous ne pouvez pas venir vous-mêmes. » Jésus lui répondit : « Là où je vais, tu ne peux me suivre maintenant, mais tu me suivras plus tard. » Et Pierre de répliquer : « Pourquoi ne pourrais-je pas vous suivre maintenant ? je donnerai ma vie pour vous. » A cette présomption, le Sauveur répond en lui prédisant son – renoncement. Quant à saint Luc, il rappelle d’abord ces paroles de Jésus-Christ : « Simon, voici que Satan vous à convoités pour vous cribler, comme on crible le froment. Mais j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas. Lors donc que tu seras revenu, confirme tes frères. » Puis, il ajoute que saint Pierre répondit : « Seigneur, je suis prêt à aller avec vous et en prison et à la mort. Jésus lui dit : Je t’affirme, Pierre, qu’avant que le coq ait chanté aujourd’hui, tu me renieras trois fois. » On voit que ce qui a provoqué la présomption de Pierre, est bien différent dans le récit de saint Jean et dans celui de saint Luc. Voici maintenant le texte de saint Matthieu : « Et l’hymne étant achevée, ils se rendirent à la montagne des Oliviers. Alors Jésus leur dit : Cette nuit, vous serez tous scandalisés à mon sujet, car il est écrit : Je frapperai le pasteur et les brebis du troupeau seront dispersées. Mais lorsque je serai ressuscité, je vous précéderai en Galilée. » C’est à peu près le texte de saint Marc. Or quelle ressemblance trouver entre ce texte et le langage présomptueux de Pierre dans saint Jean ou dans saint Luc ? Saint Matthieu continue : « Et Pierre répondit : Lors même que tous seraient scandalisés à votre sujet, pour moi, je ne le serai jamais. Jésus lui répliqua : Je te dis, en vérité, que dans cette nuit même, avant que le coq chante, tu me renieras trois fois. Pierre lui répondit : Quand il me faudrait mourir avec vous, je ne vous renierai pas. Les autres disciples en dirent autant. »

7. Saint Marc se sert à peu près des mêmes expressions, mais avec plus de précision encore sur la manière dont les choses devront se passer : « En vérité je te déclare, dit le Seigneur, que toi-même, aujourd’hui, dans cette nuit, avant que le coq ait chanté deux fois, tu m’auras renié trois fois. » Les autres évangélistes avaient annoncé que Pierre renierait son maître avant le chant du coq, sans préciser combien de fois le coq chanterait. Saint Marc est le seul qui se soit montré aussi explicite. De là certains auteurs ont prétendu que saint Marc était en désaccord avec les autres écrivains sacrés ; mais cette prétention ne peut être que l’effet, ou d’une grande légèreté, ou d’un profond aveuglement, fruit de leur haine contre l’Évangile. En effet, il est certain que Pierre renia trois fois son Maître. Il resta sous la peur dont il était saisi, et dans sa résolution de nier jusqu’au moment où le Sauveur lui rappelant ce qui lui avait été prédit, il trouva sa guérison dans des larmes amères et dans le repentir du cœur. Or, si ce triple reniement n’eut lieu qu’après le premier chant du coq, les trois Évangélistes peuvent être accusés d’erreur. Saint Matthieu dit : « En vérité je te déclare que, dans cette nuit, avant que le coq ait chanté, tu me renieras trois fois. » Saint Luc : « Je te dis, Pierre, qu’avant que le coq chante aujourd’hui, tu me renieras trois fois ; » et saint Jean : « En vérité, en vérité je t’affirme que le coq ne chantera pas que tu ne me renies trois fois. » On voit que ce n’est pas dans les mêmes termes ni dans le même ordre, que les évangélistes rapportent cette sentence du Sauveur, annonçant qu’avant le chant du coq Pierre l’aurait renié trois fois. Or pourquoi préciser les deux chants du coq, si le triple reniement devait être accompli avant le premier, et,

  1. Jn. 21, 15-17