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omises par saint Matthieu, s’écarte de la marche suivie par ce dernier et continue ainsi Pendant qu’il parlait, un Pharisien le pria de dîner chez lui. Étant donc entré, il se mit à table. Or le Pharisien, pensant en lui-même, « commença à demander pourquoi il ne s’était point lavé avant le repas. Et le Seigneur lui dit : Vous autres Pharisiens, vous nettoyez le dehors de la coupe et du plat. » Puis viennent contre les Pharisiens, les Scribes et les anciens du peuple, les mêmes reproches que ceux du passage de saint Matthieu qui nous occupe[1]. Quoique saint Matthieu rapporte ce discours sans désigner la demeure du Pharisien, comme il ne dit pas non plus que ce fut ailleurs, rien n’empêcherait de croire que ce fut dans cette maison même. Cependant le Seigneur était déjà arrivé de la Galilée à Jérusalem ; et si l’on examine l’ordre des événements qui précèdent ce discours, on est porté à croire qu’ils se sont passés dans cette dernière ville. Saint Luc au contraire suppose dans son récit que le Seigneur était toujours sur le chemin de Jérusalem. Aussi suis-je porté à croire que ce sont deux discours différents, cités, le premier par un Évangéliste, et le second par un autre.

145. Il y a cependant ici une parole qui demande quelques explications : « Vous ne me verrez plus, déclare le Seigneur, jusqu’à ce que vous disiez : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. » Or, d’après le même saint Matthieu, on a déjà dit cela[2]. Aussi, d’après saint Luc, le Seigneur répond ainsi quand on le prie de s’éloigner, parce qu’Hérode cherche à le faire mourir. Au même endroit encore saint Luc lui fait prononcer contre Jérusalem les mêmes menaces que saint Matthieu ; voici comment il s’exprime : « Le même jour quelques-uns des Pharisiens s’approchèrent, disant : Sortez, retirez-vous d’ici, car. Hérode veut vous l’aire mourir ; et il leur dit : Allez, et dites à ce renard : Voilà que je chasse les démons, et guéris les malades aujourd’hui et demain, et c’est le troisième jour que je dois être consommé. Cependant il faut que je marche aujourd’hui et demain et le jour suivant, parce qu’il ne peut se faire qu’un prophète périsse hors de Jérusalem. Jérusalem, Jérusalem, qui tues les prophètes, et qui lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme un oiseau rassemble sa couvée sous ses ailes, et tu ne l’as point voulu ? Voici que votre maison vous sera laissée déserte. Je vous le dis, vous ne me verrez plus, jusqu’à ce qu’il arrive que vous disiez : Béni Celui qui vient au nom du Seigneur[3] ! » Il n’y a, il est vrai, aucune contradiction entre le récit de saint Luc, et ce que la foule fit entendre quand le Seigneur arriva à Jérusalem ; car la suite des événements nous montre qu’il n’y était pas encore arrivé, et que ces paroles n’avaient pas encore été répétées. La difficulté vient plutôt de ce que Jésus n’est point parti de manière à n’arriver qu’à l’époque où on l’exalterait ainsi. En effet, il continue sa route jusqu’à ce qu’il arrive à Jérusalem, et ce, qu’il dit : « Voilà que je chasse les démons, et guéris les malades aujourd’hui et demain, et après-demain je dois être consommé », doit s’entendre dans un sens mystique et figuré ; car il n’a point souffert le surlendemain, puisqu’aussitôt il ajoute : « Il faut que je marche aujourd’hui et demain et le jour suivant. » Nous devons donc aussi entendre dans un sens mystique ce passage : « Vous ne me verrez plus, « jusqu’à ce qu’il arrive que vous disiez : Béni Celui qui vient au nom du Seigneur », et l’appliquer à l’avènement où il doit manifester sa gloire. D’après cela, ce qu’il ajoute : « Je chasse les démons, et guéris les malades aujourd’hui et demain, et le jour suivant je dois être consommé », se rapporte à son corps, c’est-à-dire à l’Église. Les démons sont chassés, quand les Gentils abandonnent les pratiques superstitieuses de leurs pères pour croire en lui. Les malades sont guéris, lorsque les hommes vivent dans l’accomplissement de ses préceptes, et qu’après avoir renoncé au démon et à ce monde ils arrivent au terme de la résurrection. C’est comme le troisième jour ; celui où l’Église sera consommée, c’est-à-dire élevée par l’immortalité jusqu’à la perfection des anges. La marche suivie par saint Matthieu n’offre donc rien d’irrégulier. Il faut plutôt admettre ou bien que saint Luc intervertit l’ordre des événements, si en écrivant d’après ses souvenirs, il raconte ce qui s’est passé à Jérusalem avant que la suite de son récit n’y fasse arriver le Seigneur ;. ou bien qu’en approchant de la ville, et quand on le prévenait de se tenir en garde contre Hérode, le Sauveur fit une réponse semblable à celle que d’après saint Matthieu il adressa à la foule quand il arriva, et quand étaient accomplis les faits racontés auparavant.

  1. Luc. 2, 29-52
  2. Mat. 21, 9
  3. Luc. 13, 31-36