Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome V.djvu/175

Cette page n’a pas encore été corrigée

ci et la conduite des disciples de Jésus, se mirent à dire : « Pourquoi les disciples de Jean et ceux des Pharisiens jeûnent-ils, tandis que les vôtres ne jeûnent pas ? » C’est ce que nous fait mieux comprendre encore le récit de saint Luc. Car, après avoir reproduit les réponses du Seigneur aux Scribes et aux Pharisiens sur la vocation des pécheurs comparés à des malades, il ajoute : « Mais alors ils lui dirent : Pourquoi les disciples de Jean aussi bien que ceux des Pharisiens font-ils des jeûnes fréquents et de longues prières, tandis que les vôtres boivent et mangent ? » On voit que, comme saint Marc, cet évangéliste rapporte ce discours comme prononcé par d’autres que ceux dont il fait mention. D’où vient donc que nous lisons dans saint Matthieu : « Alors des disciples de Jean s’approchèrent et lui dirent : Pourquoi observons-nous des jeûnes fréquents, les Pharisiens et nous ? » sinon parce qu’il y avait là des disciples de Jean, et que tous à l’envi, et chacun selon son pouvoir, faisaient au Seigneur la même objection ? Les trois évangélistes ont énoncé la pensée commune dans un langage différent, mais toujours conforme à la vérité.

63. Saint Matthieu et saint Marc ont aussi l’un comme l’autre parlé des fils de l’époux qui ne jeûneront pas, tant que l’époux est avec eux. Seulement au lieu de dire comme saint Matthieu les fils de l’époux », saint Marc dit : « les enfants des noces. » Mais qu’importe au sens, puisque les enfants des noces sont à la fois les fils de l’époux et ceux de l’épouse ? Ce n’est donc pas chez lui une pensée contraire, mais c’est la même pensée qu’il exprime plus amplement. Saint Luc ne dit pas : « Est-ce que vous pouvez faire jeûner les fils de l’époux, tandis que l’époux est avec eux ? » Ici donc lui aussi exprime avec justesse la même pensée ; mais il fait de plus entendre autre chose. On entrevoit en effet qu’en mettant eux-mêmes l’époux à mort, les interlocuteurs devaient plonger les amis dans le jeûne et dans les larmes. Le mot pleurer dans le texte de saint Matthieu a le même sens que le terme jeûner dans saint Marc et dans saint Luc, puisque saint Matthieu écrit un peu après : « Alors ils jeûneront », et non pas : « Alors ils pleureront. » Mais par ce mot, il a fait entendre que le Seigneur parlait du jeûne spécial qu’inspirent l’humiliation et L’affliction, et que les comparaisons suivantes, empruntées à l’étoffe neuve et au vin nouveau et reproduites également par saint Marc et par saint Luc, désignent cet autre jeûne auquel porte la joie de l’esprit attaché aux choses spirituelles, dont la douceur lui imprime une sorte d’aversion pour les aliments corporels ; jeûne qui ne convient pas à l’homme animal et charnel, tout occupé de son corps, par là même toujours esclave de ses anciennes passions. Il est inutile, sans doute, de redire ici que deux évangélistes ne sont pas en contradiction, si l’on trouve dans l’un certaines expressions ou même certains détails que l’autre a négligés, du moment que le fond est le même ou qu’une pensée n’est pas opposée à l’autre.

CHAPITRE XXVIII. RÉSURRECTION DE LA FILLE DE JAÏRE.

64. Saint Matthieu gardant toujours l’ordre chronologique continue ainsi : « Comme il leur disait ces choses, un prince de la synagogue l’aborda et l’adora en disant : Seigneur, ma fille vient de mourir ; mais venez, imposez – lui les mains, et elle vivra ; » et le reste, jusqu’à l’endroit où l’évangéliste nous fait lire : « Et la petite se leva, et le bruit de cet événement se répandit aussitôt dans tout le pays[1]. » Le fait est également raconté par saint Marc et saint Luc, mais non dans le même ordre. Ils s’en souviennent et l’exposent dans un autre endroit, c’est-à-dire après nous avoir montré Jésus repassant le lac et revenant du pays des Géraséniens, où il avait chassé les démons et leur avait permis d’entrer dans des pourceaux. En effet, saint Marc rapporte ce fait après avoir relaté ce miracle opéré chez les Géraséniens : « Lorsque Jésus, dit-il, eut repassé le lac sur une barque, et qu’il a était encore auprès de la mer, une grande a multitude de peuple s’assembla autour de lui. Et un chef de synagogue nommé Jaïre vint le trouver et le voyant il se jeta à ses pieds », etc[2]. On doit voir ici que ce qui regarde la fille du chef de synagogue arriva quand Jésus sortant du pays des Géraséniens eut repassé le lac : mais l’évangéliste ne dit pas combien de temps après. S’il n’y avait pas eu d’intervalle, on ne trouverait plus où placer ce que vient de raconter saint Matthieu sur le repas donné dans sa maison. Car après ce qui arriva chez lui et à son occasion, quoiqu’il en ait parlé, suivant l’usage des évangélistes, comme d’événements étrangers à sa personne ; il n’est d’autre fait que celui de la fille

  1. Mat. 9, 18-26
  2. Mrc. 5, 21-43