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l’avait non pas adopté mais engendré.

6. Toutefois, même dans le cas où saint Luc aurait dit que Joseph fut engendré par Héli, cette expression ne devrait nullement nous empêcher de croire que l’un des deux évangélistes a mentionné le père proprement dit, et l’autre le père adoptif. Car la raison ne s’offense pas qu’on dise de quelqu’un qu’il a engendré non de sa chair mais par la charité celui dont il est devenu le père au moyen de l’adoption. C’est de la sorte que Dieu en nous donnant le pouvoir d’être ses enfants, ne nous a pas donné sa nature, ne nous a pas engendrés de sa propre substance comme son Fils unique, mais nous a adoptés par amour. Et si l’Apôtre saint Paul fait de ce terme un fréquent usage[1], on doit comprendre que c’est précisément dans le but de ne pas confondre avec nous le Fils unique, qui existe avant toute créature et par qui toute chose créée a reçu l’être, qui seul est de la substance du Père et lui est égal en tout dans sa divinité. Ce fils unique, l’Apôtre dit qu’il a été envoyé pour revêtir notre nature dans le sein d’une femme et devenir semblable à nous, afin de nous rendre participants de sa divinité par l’adoption, en se rendant lui-même participant de notre mortalité par amour. Voici en effet comme parle Saint Paul : « Quand est venu le temps marqué, Dieu a envoyé son Fils formé d’une femme et assujetti à la loi, pour racheter ceux qui étaient sous la loi et nous faire recevoir le bienfait de l’adoption en qualité d’enfants[2]. » Et cependant nous lisons dans l’Écriture que nous sommes nés de Dieu, quand elle veut nous apprendre qu’étant déjà hommes, nous avons reçu de pouvoir devenir enfants de Dieu, et de le devenir par grâce non par nature : car si nous avions ce titre par nature, nous l’aurions eu de tout temps. Après avoir dit, en effet, que le Verbe a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu à ceux qui croient en son nom », saint Jean ajoute aussitôt, que ceux-là ne sont pas nés du sang, ni des désirs de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu lui-même. » Ainsi, ceux qui sont devenus enfants de Dieu en vertu de l’adoption dont parle saint Paul, ceux-là sont désignés dans le même discours comme étant nés de Dieu. Et pour nous, faire voir plus clairement à quelle grâce est dû ce bienfait : « Le Verbe s’est fait chair, dit-il, et il a habité parmi nous[3] » ; comme s’il disait : Est-il étonnant que ceux qui étaient chair soient devenus enfants de Dieu, quand le Fils unique qui était le Verbe éternel s’est fait chair pour eux ? Il faut, sans doute, remarquer cette grande différence qu’en devenant les enfants de Dieu nous sommes changés à notre avantage, mais que le Fils de Dieu en devenant le fils de l’homme ne l’a été d’aucune sorte à son détriment, et n’a fait que prendre une nature inférieure pour l’unir à la sienne. Saint Jacques dit encore : « Dieu nous a volontairement engendrés par la parole de la vérité, afin que nous fussions comme les prémices de ses créatures[4]. » Cet apôtre ne veut pas nous laisser entendre par les mots : « Dieu nous a engendrés », que nous devenons ce que Dieu est lui-même ; et c’est pourquoi il nous déclare, de manière à fixer nos doutes ; que l’effet de cette adoption est de nous conférer une certaine prééminence sur la création.

7. L’évangéliste saint Luc ne s’éloignerait donc pas de la vérité, quand il dirait du père adoptif de Joseph, qu’il l’a engendré. Car en sa qualité de père adoptif, Héli a donné à Joseph une naissance : s’il ne l’a pas fait naître comme homme, il l’a fait naître comme fils. C’est ainsi que Dieu après nous avoir créés comme hommes nous a engendrés comme enfants. Quant au Fils unique, non-seulement il a été engendré pour être Fils, ce que n’est pas le Père ; mais il l’a été aussi pour être Dieu, ce que le Père est également. Toutefois il est évident que si l’évangéliste saint Luc avait comme saint Matthieu employé le mot engendra, on ne pourrait nullement connaître qui des deux a parlé du père adoptif, et du père proprement dit ; de même encore, si aucun deux n’avait usé de ce terme, et que l’un eût dit Joseph fils d’Héli, et l’autre, fils de Jacob, on ne verrait pas davantage lequel a voulu nommer le père dont Joseph était issu, ou le père adoptif. Mais, comme nous lisons dans saint Matthieu : « Jacob engendra Joseph » et dans saint Luc : « Joseph qui fut fils d’Héli », la différence même des expressions nous montre clairement quel a été le dessein de chacun. Ainsi, tout homme religieux qui pensera plutôt devoir recourir à toute sorte d’hypothèse que de supposer menteur un Évangéliste, tout homme de ce caractère verra sans effort, je le répète, comment un seul personnage a pu avoir deux pères : et certainement ceux contre lesquels est dirigé ce discours le verraient facilement eux-mêmes, s’ils n’aimaient mieux contester que d’ouvrir les yeux à la lumière.

  1. Rom. 8, 15 ; 11,4
  2. Gal. 4, 4-6
  3. Jn. 1, 12-14
  4. Jac. 1, 18