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obéir, c’est commettre le péché ; et toutefois si, conformément à l’avis de l’Apôtre, nous n’y cédons point, ce n’est point nous qui agissons[1], mais le péché qui habite en nous. Et, si nous n’éprouvions aucun de ces désirs, il ne se commettrait aucun mal en nous, ni de notre part, ni de la part du péché. Mais quand se soulèvent en nous de ces désirs illicites qui nous laissent inactifs, si nous n’y obéissons point, il est dit néanmoins que c’est nous qui agissons, parce qu’ils ne sont point l’effet d’une force étrangère, mais des faiblesses de notre nature, faiblesses dont nous serons entièrement délivrés, quand notre corps sera devenu immortel aussi bien que notre âme. Donc, d’une part, dès lors que nous marchons dans les voies du Seigneur, nous n’obéissons point aux désirs du péché, et d’autre part, comme nous ne sommes point sans péché, nous en avons les désirs. Ce n’est donc point nous qui formons ces désirs, puisque nous n’y obéissons point, mais ils sont l’œuvre du péché qui habite en nous et qui les soulève. « Car ils ne marchent point dans les voies du Seigneur, ceux qui commettent l’iniquité », c’est-à-dire qui se laissent aller aux désirs du péché.
2. Mais, cherchons encore ce que nous demandons à Dieu de nous pardonner, quand nous disons : « Remettez-nous nos dettes[2] » ; sont-ce les fautes que nous commettons en obéissant aux désirs du péché, ou bien voulons-nous qu’il nous pardonne ces désirs, qui ne viennent point de nous, mais du péché qui habite en nous ? Autant que j’en puis juger, tout ce qu’il y a de coupable dans cette faiblesse qui soulève en nous ces convoitises déréglées, que saint Paul nomme péché, est effacé par le sacrement de baptême, ainsi que toutes les fautes que nous avons commises en y obéissant dans nos actes, dans nos paroles, dans nos pensées, et quoique cette faiblesse demeurât en nous, elle ne nous serait point nuisible, si nous n’obéissions jamais à ses désirs, ni en actions, ni en paroles, ni par un secret assentiment, jusqu’à ce qu’elle soit parfaitement guérie quand s’accomplira cette prière : « Que votre règne arrive » ; ou bien : « Délivrez-nous du mal[3] ». Mais, comme la vie de l’homme sur la terre est une épreuve[4] ; bien que nous soyons fort éloignés du crime, nous ne manquons pas d’occasions néanmoins d’obéir aux désirs du péché, ou en actions, ou en paroles, ou en pensées, lorsque, prenant garde aux grandes fautes, nous sommes surpris par des fautes plus légères ; et toutes ces fautes rassemblées contre nous, pourraient, sinon nous briser chacune par leur poids, du moins toutes ensemble nous accabler par leur masse. De là vient que ceux-là mêmes qui marchent dans la voie du Seigneur, disent aussi : « Remettez-nous nos dettes[5] » ; car à ces voies du Seigneur appartiennent aussi la prière et la confession, quoique les péchés ne leur appartiennent pas.
3. C’est pourquoi dans ces voies du Seigneur, toutes renfermées dans la foi, par laquelle on croit en Celui qui justifie l’impie[6], et qui dit encore : « Moi je suis la voie[7] », nul ne commet le péché, mais chacun le confesse. Tout pécheur s’écarte donc de la voie, et dès lors on ne saurait attribuer à la voie le péché commis par celui qui s’en écarte ; mais dans le chemin de la foi, on regarde comme ne péchant point ceux à qui Dieu n’impute aucun péché. C’est de ces hommes que saint Paul, en relevant la justice qui vient de la foi, nous montre qu’il est écrit dans le psaume : « Bienheureux ceux dont les iniquités sont remises, et dont les péchés sont couverts : bienheureux l’homme à qui le Seigneur n’impute aucun péché[8] ». Voilà ce que l’on rencontre dans la voie du Seigneur ; et dès lors, comme « le juste vit de la foi[9] », cette iniquité qui consiste dans l’infidélité nous éloigne de la voie du Seigneur. Quiconque dès lors marche dans cette voie, c’est-à-dire dans une foi pieuse, ou ne commet aucune faute, ou s’il en commet quelqu’une en s’égarant quelque peu, elle ne lui est pas imputée à cause de cette même voie, et il est comme s’il n’en avait commis aucune. Ainsi donc, dans cet oracle du Prophète : « Ce n’est point dans ses voies qu’ils marchent, ceux qui commettent l’iniquité », on doit entendre par iniquité, ou s’écarter de la foi ou ne point s’en approcher. C’est en ce sens que le Seigneur a dit des Juifs : « Si je n’étais venu, ils n’auraient aucun péché[10] ». Et toutefois, ils n’étaient pas sans péché avant que le Christ vînt en sa chair, et ils ne sont point demeurés sans péché depuis son avènement,

  1. Rom. 7,17
  2. Mt. 6,12
  3. Id. 10-12
  4. Job. 7,1
  5. Mt. 6,12
  6. Rom. 4,5
  7. Jn. 14,6
  8. Rom. 4,7 ; Ps. 31,1-2
  9. Rom. 1,17
  10. Jn. 15,22