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jours du salut[1] » ; et alors tu as cru, et dans ces jours tu as invoqué, et tu as dit : « Seigneur, mon Dieu, délivrez mon âme[2] ». Cela est vrai, et pourtant je puis appeler plus justement mes jours, les jours de ma misère, les jours de ma mortalité, les jours qui me viennent d’Adam, jours pleins de labeur et de fatigue, jours du vieil homme et de la corruption. Car je suis à terre, « et plongé dans la vase de l’abîme[3] » ; et dans un autre Psaume je me suis écrié : « Voilà que vous avez lait vieillir mes jours[4]. C’est pendant ces jours que je vous ai invoqué ». Mes jours sont donc bien différents des jours de mon Dieu. J’appelle mes jours ceux que je me suis faits à moi-même, par cette audace qui m’a porté à me séparer de lui. Et comme il règne partout, comme il est tout-puissant, tenant tout dans ses mains, j’ai mérité la prison, c’est-à-dire que j’ai dû subir les ténèbres de l’ignorance et les entraves de la mortalité. « Je vous ai donc invoqué en mes jours », parce que c’est moi qui crie dans un autre Psaume : « Délivrez mon âme de la prison[5] », Et comme le Seigneur m’a secouru au jour de ce même salut qu’il m’a procuré, voilà que le gémissement des captifs a monté en sa présence[6]. C’est en effet dans ces jours qui sont les miens que « les douleurs de la mort « m’ont environné, que les périls de l’enfer m’ont saisi[7] » ; et ils ne me trouveraient point si je n’étais loin de vous. Ils me tiennent donc maintenant en leur pouvoir, et moi je ne les trouvais point, moi qui mettais ma joie dans les prospérités de ce monde, où les périls de l’enfer sont plus trompeurs encore.
4. Mais quand, à mon tour, « j’ai rencontré la tribulation et la douleur, j’ai invoqué le nom de mon Dieu[8] ». Je ne connaissais point cette affliction, cette douleur très utile, affliction dont vient nous décharger celui auquel il est dit : « Donnez-nous votre secours dans l’affliction, car le salut qui vient de l’homme est trompeur[9] ». Pour moi, je croyais que ce vain salut de l’homme pourrait me procurer de la joie et de l’allégresse ; mais quand j’ai entendu cette parole du Seigneur : « Bienheureux ceux qui pleurent parce qu’ils seront consolés[10] », je n’ai pas attendu pour pleurer, la perte de ces biens temporels qui me procuraient un funeste plaisir, mais j’ai considéré cette misère qui est en moi, et qui me fait trouver la joie dans ces biens que je crains de perdre, et que je ne puis néanmoins retenir ; je l’ai considérée avec attention et avec courage, et j’ai vu que non seulement j’étais tourmenté par les revers de cette vie, mais que ses prospérités elles-mêmes étaient un lourd fardeau ; et ainsi : « J’ai trouvé la tribulation et la douleur » que je ne connaissais pas, « et j’ai invoqué le nom du Seigneur. O Dieu, délivrez mon âme[11]. Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort, sinon la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur[12] ? » Que le peuple de Dieu s’écrie dès lors : « J’ai rencontré la tribulation et la douleur, et j’ai invoqué le nom de mon Dieu ». Qu’elles nous entendent, ces nations qui sont en arrière, et qui n’invoquent point encore le nom du Seigneur ; qu’elles nous entendent, qu’elles cherchent afin de rencontrer la douleur et la tribulation, et d’invoquer aussi le nom du Seigneur, et d’être sauvées. Nous ne leur parlons point de la sorte, afin qu’elles cherchent une misère qu’elles n’auraient point, mais afin qu’elles trouvent cette misère qu’elles ont sans la connaître. Ce que nous leur souhaitons, ce n’est point qu’elles manquent de ces biens terrestres qui leur sont nécessaires pendant cette vie mortelle ; mais qu’elles pleurent de ce qu’ayant perdu les biens du ciel qui les rassasiaient, elles aient mérité d’avoir besoin de ces biens de la terre qui ne procurent aucune jouissance durable, et qui n’ont d’utilité qu’en cette vie temporelle. Telle est la misère qu’ils doivent reconnaître et pleurer ; et leurs larmes deviendront bienheureuses en celui qui n’a point voulu pour ces peuples un malheur éternel.
5. « Le Seigneur est plein de clémence et de justice, notre Dieu se plaît à faire miséricorde[13] ». Dieu donc est miséricordieux, il est juste, il pardonne : miséricordieux d’abord, parce qu’il a incliné son oreille vers moi ; et j’ignorerais que Dieu se fût approché de moi pour entendre mes paroles, si je n’avais été excité à l’invoquer par ceux dont les pieds sont beaux. Qui donc a fait appel au Seigneur, sinon celui que le Seigneur a tout

  1. 2 Cor. 6,2
  2. Ps. 145,5
  3. Id. 58,3
  4. Id. 38,6
  5. Id. 141,8
  6. Id. 78,11
  7. Id. 114,3
  8. Id. 4
  9. Id. 59,13
  10. Mt. 5,5
  11. Ps. 114,4
  12. Rom. 7,24-25
  13. Ps. 114,5