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disent ceux qui ont parlé des étymologies. Liban signifie donc blancheur : et aujourd’hui tout paraît d’une blancheur éclatante, tout est brillant de pompes et de magnificence. Mais il y a là des cèdres du Liban que le Seigneur a plantés, et ces mêmes cèdres seront rassasiés. « Car tout arbre », dit le Sauveur, « que mon Père céleste n’a point planté, sera arraché[1]. Et les cèdres du Liban qu’il a plantés ».
16. « C’est là que les oiseaux font leurs nids. La maison des foulques leur sert de guide[2] ». Où les oiseaux feront-ils leurs nids ? Dans les cèdres du Liban. Déjà nous savons ce que signifient les cèdres du Liban, ceux qui tiennent dans le monde un rang distingué par la noblesse de leur origine, par leurs dignités, par leurs richesses, De tels cèdres sont aussi rassasiés, ceux-là que le Seigneur a lui-même plantés. C’est dans leurs branches que les passereaux font leurs nids. Quels passereaux ? Tous les oiseaux qui volent dans les airs sont des passereaux, mais ce nom désigne plus spécialement de petits oiseaux. Il est donc des hommes spirituels qui font leurs nids sur les cèdres du Liban ; c’est-à-dire qu’il y a quelques serviteurs de Dieu qui comprennent cette parole de l’Évangile : « Laisse-là tous tes biens » ; ou : « Vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel, puis viens et suis-moi[3] ». Ce ne sont pas les grands seulement qui ont entendu cette parole, mais les petits aussi l’ont entendue, les petits ont voulu l’accomplir et devenir spirituels, renoncer au mariage, n’être point distraits par les soins des enfants, n’être assujettis à aucune demeure particulière, mais embrasser une certaine vie commune. Dès lors, qu’ont-ils abandonné, ces passereaux ? Car les petits dans le monde ressemblent à des passereaux. Qu’ont-ils abandonné ? Quel sacrifice considérable ont-ils pu faire ? Celui-ci se donne àDieu, et laisse la chétive maison paternelle, à peine un lit et un coffre. Il se donne à Dieu néanmoins et devient passereau, il s’éprend des biens spirituels. Cela est bien, fort bien ; loin de nous tout sarcasme, ne lui disons pas : Tu n’as rien laissé. Mais que celui qui laisse beaucoup ne s’enorgueillisse point, Quand Pierre suivit le Sauveur, que put-il abandonner, lui, simple pêcheur, nous le savons ? Que purent quitter et André son frère, et les deux fils de Zébédée, Jacques et Jean, pêcheurs aussi[4] ? Et pourtant que dirent-ils ? « Voilà que nous avons tout quitté pour vous suivre[5] ». Or, le Seigneur ne lui dit point : As-tu donc oublié, ô Pierre, combien tu étais pauvre ; et qu’as-tu abandonné, pour recevoir le monde entier en échange ? Il quitta beaucoup, mes frères, oui beaucoup, parce qu’il ne quitta pas seulement ce qu’il avait, mais ce qu’il désirait avoir. Quel pauvre ne s’élève point par les espérances de cette vie ? Qui ne cherche à grossir chaque jour ce qu’il possède ? Tel est le désir qu’on sacrifie : le borner quand il s’étend à l’infini, n’est-ce donc rien quitter ? Pierre a ainsi abandonné le monde entier pour recevoir le monde entier. Ne possédant rien et néanmoins possédant tout[6], dit saint Paul. Voilà ce que font beaucoup d’autres ; ce que font ceux qui ont peu, qui viennent à nous et sont des passereaux utiles. Ils paraissent peu, parce qu’ils n’ont rien de l’élévation du monde. Ils font leur nid sur les cèdres du Liban. Les cèdres du Liban sont les grands, les riches, les puissants du siècle, qui n’entendent qu’en tremblant cette parole : « Bienheureux celui qui a l’intelligence du pauvre et de l’indigent[7] », qui ne voient qu’avec mépris leurs richesses, leurs maisons de campagne, ces biens superflus, vaines pompes du monde, et qui les donnent aux serviteurs de Dieu, qui donnent leurs champs, leurs jardins, qui bâtissent des églises, des monastères, y rassemblent des passereaux, lesquels peuvent ainsi construire leurs nids sur les cèdres du Liban. Qu’ils soient donc rassasiés, « ces cèdres du Liban, que le Seigneur a plantés, et où les passereaux doivent faire leurs nids ». Voyez s’il n’en est pas ainsi dans tout l’univers ; ce n’est point de le croire que je parle ainsi, mais bien de le voir, et déjà l’expérience m’a donné l’intelligence. Interrogez les terres les plus lointaines, vous qui les connaissez, et voyez sur combien de cèdres du Liban les passereaux dont je vous ai parlé ont fait leur nid.
17. Toutefois, mes frères, ces passereaux, dès lors qu’ils sont devenus spirituels, ne doivent en rien envier les cèdres du Liban, quoiqu’ils fassent des nids sur leurs branches, ni croire que les cèdres aient un avantage sur eux, parce qu’ils en tirent ce qui est nécessaire à la

  1. Mt. 15,13
  2. Ps. 103,17
  3. Mt. 19,21
  4. Mt. 15,18-21
  5. Id. 19,27
  6. 2 Cor. 6,10
  7. Ps. 11,2