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« jubilez ? » Poussez dans votre joie des cris inarticulés ; que votre joie se répande au-dehors. Quand nous serons pleinement rassasiés de cette joie sainte, quels ne seront point nos cris, si dès ici-bas tes miettes qu’en reçoit notre âme lui donnent de tels transports ? Que sera-ce quand nous serons rachetés de toute corruption, alors que s’accomplira ce que dit le Prophète : « Lui qui rassasie de tous biens vos désirs ? »
9. Et comme si tu demandais : Quand nous veut-il rassasier ? maintenant je ne suis point rassasié ; quelque part que se tournent mes désirs, je n’éprouve que dégoût pour ce que j’obtiens, quelque vif qu’en ait été le désir quel bien pourra combler mes désirs, quand je convoite ce que je n’ai point, et quand je ne puis l’obtenir sans le mépriser ? La louange de Dieu. Mais ici-bas que « le corps corruptible appesantit l’âme, et que ce séjour terrestre abat l’esprit malgré la vivacité de ses pensées », ce n’est point la louange de Dieu qui rassasie mon âme, qui lui donne la félicité. Cette corruption qui a d’autres besoins me donne d’autres plaisirs, qui me détournent de Dieu, Quand mon désir sera-t-il saturé de bonheur ? Quand ? me dis-tu. Écoute : « Il renouvellera ta jeunesse comme celle de l’aigle ». Tu veux savoir quand sera-ce que ton âme sera rassasiée de bonheur ? Quand tu recouvreras ta jeunesse. Le Prophète ajoute : « Comme celle de l’aigle ». Il y a ici quelque mystère ; et toutefois ce qu’on dit de l’aigle, je ne le passerai point sous silence, parce qu’il n’est pas inutile de comprendre ce passage. Soyons seulement persuadés que ce n’est pas sans raison que l’Esprit-Saint a dit : « Tu as jeunesse sera renouvelée comme celle de l’aigle, et qu’il nous marque là une certaine résurrection. L’aigle renouvelle en effet sa jeunesse, mais non pour devenir immortel. Le Prophète emprunte aux choses mortelles une image telle qu’il peut la trouver, non pour nous démontrer, mais pour nous désigner seulement l’immortalité. On dit que l’aigle, quand son corps est accablé de vieillesse, ne peut plus se nourrir, à cause de la grandeur de son bec, croissant avec l’âge. La partie supérieure du bec, qui vient se courber sur la partie inférieure, excède de beaucoup avec les années, en sorte que cet accroissement ne lui permet plus d’ouvrir le bec, et ne laisse aucun intervalle entre la partie inférieure et le crochet supérieur. Or, sans intervalle entre ces deux parties, le bec ne peut imiter le jeu des ciseaux, ni mettre en pièces ce qu’il veut avaler. La vieillesse donc, faisant croître et courber cette partie supérieure, l’empêche d’ouvrir le bec et de prendre sa nourriture. Le voilà sous le poids de la vieillesse, et de l’impuissance de manger, ce qui le jette dans la double langueur et des années et de la faim. Alors, par un instinct naturel, il recouvre jusqu’à un certain point sa jeunesse, dit-on, en heurtant contre la pierre cette espèce de lèvre supérieure dont l’accroissement démesuré lui ferme le bec ; et en la frappant ainsi contre la pierre, il se débarrasse d’un fardeau incommode, qui fermait le passage à la nourriture ; il reprend cette nourriture, et ses forces reviennent : il est dans sa vieillesse, comme le jeune aigle ; ses membres ont de la vigueur, ses plumes de l’éclat, ses ailes sont libres, son vol aussi haut qu’auparavant ; il s’opère en lui une certaine résurrection. Tel est le but de la comparaison ; c’est dans le même sens que l’on se sert quelquefois de la lune qui diminue, qui se dérobe en quelque sorte, pour reparaître ensuite et arriver à son plein ; ce qui nous représente la résurrection : mais elle ne demeure pas dans ce plein ; elle diminue ensuite, pour être toujours une image. Ainsi en est-il de l’aigle : s’il rajeunit comme nous l’avons dit, ce n’est point pour devenir immortel, tandis que nous c’est pour une vie sans tin : on emploie toutefois cette comparaison pour nous avertir de briser contre la pierre tout ce qui est pour nous un obstacle. Ne présume donc point de tes forces, puisque c’est la solidité de la pierre qui te fait secouer ta vieillesse. « Or, cette pierre est le Christ[1] ». C’est donc par le Christ que ta jeunesse sera renouvelée comme celle de l’aigle. Nous avons en effet vieilli parmi nos ennemis, selon cette parole si connue du psaume : « J’ai vieilli au milieu de tous mes ennemis[2] ». Qu’est-ce qui nous a fait vieillir ? Notre chair mortelle, notre chair qui est une herbe ; aussi : « Mon cœur a-t-il été frappé comme « l’herbe, s’est-il desséché, parce que j’ai oublié de manger mon pain[3] ». J’ai oublié de « manger mon pain », dit le Prophète. La vieillesse est venue me fermer cette bouche qu’il faut briser contre la pierre.

  1. 1 Cor. 10,4
  2. Ps. 6,8
  3. Id. 101,5