Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IX.djvu/483

Cette page n’a pas encore été corrigée

compatit aux faibles, qui cherche les intérêts du Christ, qui se souvient que son maître doit venir, et qui craint qu’on ne lui dise : « Méchant et lâche serviteur, que n’as-tu mis mon argent chez les banquiers[1] ? » Cherchons trois choses dans l’œuvre de ce dispensateur. Qu’il vienne dans un lieu où il n’y a nul chrétien, ce sera le pélican dans la solitude ; qu’il vienne chez ceux qui ont été chrétiens, et ne le sont plus, c’est le hibou dans les masures, car il n’abandonne pas les ténèbres de ceux qui habitent la nuit, et s’applique à les gagner ; qu’il vienne chez des chrétiens qui habitent dans la maison, qui ne sont point de ceux qui n’ont jamais embrassé la loi, ou ne l’ont point gardée après l’avoir embrassée, mais qui rie font qu’avec tiédeur les œuvres de la foi : c’est un passereau qui leur crie, non point de la solitude, puisqu’ils sont chrétiens, non point des masures, puisqu’ils ne sont point tombés, mais sont sur le toit, ou plutôt sous le toit, puisqu’ils sont sous la chair. Ce passereau se fait entendre au-dessus de la chair, puisqu’il ne garde point le silence sur les préceptes de Dieu, qu’il ne devient point charnel, et qu’il n’est point sous le toit. « Que celui qui est sur le toit n’en descende pas pour prendre quelque chose dans sa maison[2] » ; et : « Ce que vous entendez de l’oreille, prêchez le sur le toit[3] ». Voilà donc trois oiseaux et trois habitations. Un seul homme peut faire ce que figurent ces trois oiseaux, de même que trois hommes peuvent le faire aussi : et ces trois lieux différents, sont trois genres d’auditeurs ; car cette solitude, cette masure, ce toit, ne peuvent figurer que trois sortes d’hommes.
8. Mais pourquoi nous étendre à ce sujet ? Jetons les yeux sur le maître, et voyons si ce n’est pas lui, s’il ne nous apparaîtra pas mieux dans le pélican au désert, le hibou dans les masures, le passereau solitaire sur un toit. Qu’il nous parle, ce pauvre qui est notre chef ; que ce pauvre de gré parle aux pauvres de nécessité. Disons tout ce que l’on a dit ou dont au sujet de cet oiseau, c’est-à-dire du pélican ; n’affirmons rien avec témérité, mais n’omettons rien de ce qu’ont voulu dire et faire lire ceux qui en ont écrit. Pour vous, écoutez de manière à vous y arrêter, si cela est vrai ; à le laisser, s’il est faux. On dit que ces oiseaux frappent leurs petits à coups de bec, et après es avoir tués, les pleurent dans leur nid pendant trois jours, que la mère se fait une large blessure, et arrose ses petits de son sang qui les rend à la vie. Est-ce vrai, est-ce faux ? Si cela est vrai, voyons le rapport de celte figure avec ce qu’a fait pour nous Celui qui nous a rendu la vie par son sang. Ce rapport consiste en ce que c’est la mère qui donna la vie à ses petits par son sang. Cela est évident ; et lui-même s’est comparé à une poule qui échauffe ses poussins « Jérusalem, Jérusalem, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et tu ne l’as point voulu[4] ? » Le Christ en effet a toute l’autorité d’un père, et toute la tendresse d’une mère ; de même que Paul il est père, il est mère ; non par lui-même sans doute, mais par l’Évangile : père, quand il nous dit : « Eussiez-vous dix mille maîtres en Jésus-Christ, vous n’avez pas néanmoins beaucoup de pères, c’est moi qui vous ai engendrés à Jésus-Christ par l’Évangile[5] » ; mère, quand il dit : « Mes petits enfants, que j’enfante de nouveau, jusqu’à ce que le Christ soit formé en vous[6] ». Si donc ce que l’on dit du pélican est véritable, il a une grande ressemblance avec la chair du Christ, dont le sang nous a donné la vie. Mais quelle ressemblance y a-t-il avec Jésus-Christ, à tuer ses enfants ? Pourtant cela n’est-il pas d’accord avec cette parole : « Je donnerai la mort, et je donnerai la vie ; je frapperai et je guérirai[7] ? » Saul le persécuteur fût-il mort, s’il n’eût été frappé du haut du ciel[8] ; et se serait-il relevé prédicateur, s’il n’eût été vivifié par le sang du Christ ? Toutefois c’est l’affaire de ceux qui ont écrit ces choses, et nous ne devons pas baser nos interprétations sur l’incertitude. Voyons plutôt cet oiseau dans la solitude : c’est là que notre psaume l’a placé : « Le pélican dans la solitude ». Je crois qu’il nous désigne ici le Christ né d’une vierge. Il est en effet le seul de là vient la solitude ; il est né dans la solitude, parce que seul il est né de cette manière. Après sa naissance vient sa passion. Qui l’a crucifié ? Ceux qui se tenaient debout ? Ceux qui pleuraient ? On peut donc dire que ce fut pendant la nuit de l’ignorance, et comme dans les masures de leurs propres ruines.

  1. Mt. 25,26-27
  2. Id. 24,17
  3. Id. 10,27
  4. Mt. 23,37
  5. 1 Cor. 4,15
  6. Gal. 4,19
  7. Deut. 32,39
  8. Act. 9,4