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nuit sera passée. « Au matin j’exterminais tous les pécheurs de la terre » : pourquoi les avoir épargnés jusqu’au matin ? Parce que c’était la nuit. Qu’est-ce à dire, c’était la nuit ? C’était le moment de l’indulgence ; car Dieu pardonnait, quand le cœur des hommes était dans les ténèbres. Tu vois un homme vivant dans le désordre ; tu as pour lui de la tolérance ; comme il est dans la nuit, tu ne sais ce qu’il deviendra, si vivant aujourd’hui dans le désordre, il ne sera pas demain plus régulier ; et si l’homme régulier d’aujourd’hui ne sera pas demain l’homme du désordre. Nous sommes dans la nuit, et Dieu tolère les pécheurs dans sa longanimité. Il les tolère afin qu’ils se retournent vers lui. Mais ceux qui ne se convertiront point ici-bas seront exterminés. Pourquoi exterminés ? Afin qu’ils soient bannis de la cité de Dieu, de la société de Jérusalem, de la société des saints, de la société de l’Église. Quand seront-ils exterminés ? « Au matin ». Qu’est-ce à dire « au matin ? » Quand la nuit sera passée. Pourquoi les épargner aujourd’hui ? Parce que c’est le temps de la miséricorde. Pourquoi n’épargner pas toujours ? Parce que « je chanterai, Seigneur, votre miséricorde, et ensuite votre jugement ». Mes frères, que nul ne se fasse illusion. Tous ceux qui commettent l’iniquité seront exterminés : le Christ les exterminera au matin, et les bannira de sa cité. Mais aujourd’hui que nous sommes dans le temps de la miséricorde, que les pécheurs l’écoutent. Partout il nous prêche, et dans sa loi, et dans les Prophètes, et dans les psaumes, et dans les Epîtres et dans l’Évangile. Reconnaissez qu’il ne se tait point, qu’il épargne, qu’il use même de miséricorde ; mais veillez sur vous, car voici le jugement.



PREMIER DISCOURS SUR LE PSAUME 101[1]

PREMIÈRE PARTIE DU PSAUME.

LES GÉMISSEMENTS DE L’ÉGLISE.

C’est un pauvre qui parle, et ce pauvre est Jésus-Christ, lequel a fait les richesses matérielles, les richesses de l’intelligence, les richesses de la vertu. S’il est pauvre, c’est qu’il s’est fait chair, et dès lors, revêtu de notre pauvreté ; c’est donc nous qui parlons en lui dans notre psaume ; et dans le chef on doit reconnaître les membres. Que Dieu soutienne toujours ses membres, puisqu’il en est qui sont toujours dans l’angoisse. Mes jours se sont évanouis, parce que dans mon orgueil j’ai oublié de manger mon pain, ce pain du juste descendit du ciel. Mais par compassion les os, dans l’Église, s’attachent à la chair, ou les forts s’inclinent vers les faibles. La prédication de la vérité se fait parfois chez un peuple où le Christ est inconnu, c’est le pélican au désert ; ou chez un peuple qui est retombé, c’est le hibou, dans les ténèbres et les masures ; ou chez de vrais chrétiens, c’est le passereau sur le toit : ou bien encore le Christ serait le pélican qui rend, dit-on, la vie à ses petits qu’il arrose de son sang, et dans la solitude, parce que seul le Christ est né d’une vierge ; il serait le hibou par sa passion, qui eut lieu dans les ténèbres des Juifs, et le passereau sur le toit par sa résurrection. On reproche au Christ de manger avec les pécheurs, comme aux chrétiens d’encourager le vice par la promesse du pardon : comme si le désespoir n’était pas plus corrupteur encore, et comme si l’incertitude de la mort n’était pas un contre-poids. Dieu punit en effet l’homme pécheur, et non la créature qu’il n’a point faite à son image, qui ne craint rien, n’espère rien. Le Seigneur n’oublie rien, et de la poussière de Sion il fait sortir l’Église primitive. Hâtons-nous d’entrer dans la construction de Sion ; quand elle sera achevée, il sera trop tard.


1. Voici un pauvre qui prie, et qui ne prie pas en silence. On peut donc entendre ce qu’il dit, et voir qui il est. C’est peut-être de ce pauvre que saint Paul dit : « Il s’est fait pauvre « pour nous, lui qui était riche, afin de nous enrichir par sa pauvreté[2] ». Mais si c’est lui, comment est-il pauvre ? Car sa richesse, qui ne la voit point ? Qu’est-ce qui fait la richesse des hommes ? L’or, l’argent, de nom nombreux

  1. Premier sermon prêché après les lois portées contra les Donatistes, en l’année 405
  2. 2 Cor. 8,9