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en est chassé ; quiconque en effet est harcelé par une mauvaise conscience, ressemble à un homme qui demeure sous un toit d’où l’eau tombe de toutes parts, ou qui sort pour éviter la fumée, qui ne saurait demeurer chez lui tel est l’homme dont le cœur n’est point tranquille, et qui ne saurait y habiter à l’aise. La distraction de leur esprit jette ces hommes au-dehors d’eux-mêmes, et leur fait chercher le plaisir dans les choses corporelles, demander le calme aux bagatelles, aux spectacles, à la luxure, à toutes sortes de crimes. Pourquoi chercher leurs délices au-dehors, sinon en ce qu’ils ne peuvent à l’intérieur goûter la paix de la conscience ? Aussi le Seigneur, après avoir guéri le paralytique, lui dit-il : « Enlevez votre grabat et allez en votre maison[1] ». Voilà ce que doit faire une âme qui est comme amollie par la paralysie qu’elle se raffermisse dans les bonnes œuvres de ses membres, qu’elle fasse le bien, qu’elle emporte son grabat, qu’elle soumette le corps ; puis, qu’elle aille dans sa maison ou sa conscience, et qu’elle la trouve assez large pour s’y promener, y chanter, y avoir l’intelligence.
5. « Je ne mettais sous mes yeux rien d’injuste[2] ». Qu’est-ce à dire que « Je ne mettais sous mes yeux aucune injustice ? » Je n’y attachais point mon cœur, car, vous le savez, on dit d’un homme qui en aime un autre qu’il l’a sous les yeux, Et un homme que l’on méprise se plaint en disant : Je ne suis rien à ses yeux. Ainsi donc, avoir une chose sous ses yeux, c’est l’aimer ; qu’est-ce que ne pas l’aimer ? Ne pas y être de cœur. Le Prophète nous dit donc : « Je ne mettais sous mes yeux rien d’injuste » : je ne m’attachais pas au mal ; et il nous dit ce qu’est le mal : « Je haïssais quiconque violait la loi ». Écoutez bien, mes frères, si vous marchez avec le Christ au milieu de sa maison, c’est-à-dire si vous goûtez dans votre cœur un saint repos, ou si dans l’Église vous prenez le bon chemin qu’a suivi votre chef, vous ne devez pas seulement haïr les prévaricateurs que vous rencontrez au-dehors, mais encore tous ceux de l’intérieur. Quels sont les prévaricateurs ? Ceux qui haïssent la loi de Dieu ; ceux qui l’entendent sans la pratiquer, voilà les prévaricateurs. Poursuis de ta haine les prévaricateurs, écarte-les de toi. Mais c’est le prévaricateur, et non l’homme, que tu dois haïr. Le même homme qui devient prévaricateur a deux dénominations ; il est homme, puis prévaricateur : aime alors ce que Dieu a fait en lui, mais poursuis ce qu’il a fait lui-même. Poursuivre la prévarication, c’est tuer ce qu’a fait l’homme, pour délivrer ce qu’a fait Dieu. « J’ai haï ceux qui commettent le péché ».
6. « Le cœur méchant n’a pas eu d’accès auprès de moi[3] ». Qu’est-ce à dire un cœur méchant ? Un cœur tortueux. Qu’est-ce que le cœur tortueux ? Le cœur qui n’est pas droit. Quand est-ce que le cœur n’est pas droit ? Vois d’abord ce qu’est le cœur droit, tu sauras ce que peut être un cœur qui ne l’est pas. On appelle droit le cœur d’un homme qui ne repousse rien de ce que Dieu veut. Redoublez d’attention. Un homme demande à Dieu que je ne sais quoi ne lui arrive point, mais sa prière ne l’a point détourné. Qu’il redouble ses prières de tout son pouvoir ; ce qu’il veut éviter lui arrive contre sa volonté : qu’il se soumette alors à la volonté de Dieu, et ne résiste point à cette volonté si grande. C’est ce que nous apprend l’exemple du Sauveur lui-même, qui veut personnifier eu lui notre infirmité, et quai s’écrie, au moment de souffrir : « Mon âme est triste jusqu’à la mort[4] ». Et pourtant il ne craignait pas la mort, lui qui avait le pouvoir de donner sa vie, et aussi le pouvoir de la reprendre[5]. Et Paul, ce soldat et serviteur du Christ, s’écrie : « J’ai combattu un bon combat, j’ai gardé ma foi, j’ai achevé ma course ; il ne me reste qu’à attendre la couronne de justice, que me rendra en ce jour le Seigneur qui est juste juge[6] ». Il tressaille parce qu’il va mourir ; et son Seigneur, son chef est triste devant la mort ! Le serviteur vaut donc mieux que le chef ? Alors que devient cette parole du divin Maître : « Il doit suffire au serviteur d’être comme son Seigneur, et au disciple d’être comme son maître[7] ?, Voilà que Paul est brave en face de la mort, et que le Seigneur est triste. « Je désirais », dit-il, « ma dissolution, afin d’être avec le Christ[8] ». Paul est dans la joie en face de la dissolution, afin d’être avec le Christ, et le Christ sera dans la tristesse, lui avec qui Paul se réjouit d’être un jour ? Qu’est-ce que cette parole, sinon Le cri de notre infirmité ? Beaucoup d’hommes faibles sont encore attristés

  1. Mt. 9,6
  2. Ps. 100,2
  3. Ps. 100,4
  4. Mt. 26,38
  5. Jn. 10,18
  6. 2 Tim. 4,7
  7. Mt. 10,25
  8. Phil. 1,23