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Comment donc, nous aussi, aurons-nous la justice et le jugement ? Le jugement chez toi, c’est le discernement du bien et du mal ; la justice, de faire le bien et éviter le mal. Discerner le bien, c’est le jugement ; le faire, c’est la justice. « Évite le mal », dit le Prophète, « et fais le bien ; cherche la paix et poursuis-la[1] ». Ainsi donc, le jugement d’abord, et ensuite la justice. En quoi consiste le jugement ? À discerner ce qui est bien et ce qui est mal. En quoi la justice ? À se détourner du mal pour s’attacher au bien. Mais cela ne vient pas de toi : vois en effet ce que dit le Prophète : « C’est vous qui avez fait en Jacob le jugement et la justice ».
8. « Exaltez le Seigneur notre Dieu ». Oui, exaltez-le, relevez ses bienfaits. Louons-le, exaltons-le, puisqu’il a fait la justice que nous avons, et l’a faite en nous. Qui a créé en nous la justice, sinon celui qui nous a justifiés ? Or, il est dit du Christ, qu’« il a justifié l’impie[2] ». Nous sommes les impies, c’est lui qui nous rend justes, quand il établit en nous cette justice par laquelle nous pouvons lui plaire et mériter d’être placés, non point à sa gauche, mais à sa droite, lorsqu’il dira à ceux de droite : « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui a été préparé pour vous dès l’origine du monde » ; afin qu’il ne nous place point à la gauche avec ceux auxquels il doit dire : « Allez au feu éternel qui a été préparé au diable et à ses anges[3] ». Combien ne devons-nous point exalter celui qui doit couronner en nous, non point nos mérites, mais ses dons ? « Exaltez le Seigneur notre Dieu ».
9. « Prosternez-vous devant l’escabeau de « ses pieds, car il est saint[4] ». Que devons-nous adorer ? « L’escabeau de ses pieds ». On appelle escabeau ce que l’on met sous les pieds. Les Grecs l’appellent upopodion, les Latins scabellum, d’autres l’ont appelé suppedaneum. Voyez, mes frères, ce que le Psalmiste nous ordonne ici d’adorer. Dans un autre endroit de l’Écriture il est dit : « Le ciel est mon trône, et la terre l’escabeau de mes pieds[5] ». Est-ce donc la terre qu’il nous faut adorer, puisqu’il dit ailleurs que c’est l’escabeau de ses pieds ? Comment adorer la terre, quand l’Écriture nous dit clairement : « Tu adoreras le Seigneur ton Dieu[6] ? » Cependant l’Écriture nous dit : « Adorez l’escabeau de ses pieds » ; et comme pour nous expliquer ce qu’elle entend par cet escabeau, elle dit ailleurs : « La terre est l’escabeau de ses pieds ». Me voilà dans l’embarras : je crains d’adorer la terre, de peur d’être condamné par celui qui a créé le ciel et la terre ; et je crains encore de n’adorer point l’escabeau des pieds de mon Dieu, quand le Psalmiste me dit : « Adorez l’escabeau de ses pieds ». Je cherche quel est cet escabeau, et l’Écriture me répond : « La terre est l’escabeau de ses pieds ». Dans mon anxiété, je me tourne vers le Christ, car c’est lui que je cherche ici, et je trouve comment l’on peut sans impiété adorer la terre, sans impiété adorer l’escabeau de ses pieds. Car c’est de la terre qu’il a reçu une terre, puisque la chair est une terre, et qu’il a pris sa chair de la chair de Marie. Et parce qu’il s’est montré sur la terre avec cette chair, que pour notre salut il nous a donné cette chair à manger, nul ne mange cette chair sans l’adorer d’abord. Et voilà que nous avons trouvé comment nous pouvons adorer cet escabeau de ses pieds, en sorte qu’on peut l’adorer sans pécher, et que ne point l’adorer au contraire, ce serait pécher. Mais est-ce la chair qui nous donne la vie ? Jésus-Christ lui-même, en nous signalant cette terre qu’il portait, nous dit : « C’est l’Esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien[7] ».C’est pour cela qu’en t’inclinant devant une terre quelconque, en l’adorant, tu ne fais aucune attention à la terre, mais à ce saint, dont la terre que tu adores est le marchepied, car c’est à cause de lui que tu l’adores : aussi le Prophète a-t-il ajouté : « Adorez l’escabeau de ses pieds, parce que lui est saint ». Qui est saint ? Celui en l’honneur de qui tu adores l’escabeau de ses pieds. Et quand tu l’adores, que ta pensée ne demeure point dans la chair, de peur que tu ne sois privé de la vie de l’Esprit : « C’est l’Esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien », dit le Sauveur. Quand le Seigneur faisait cette recommandation, il avait parlé de sa chair, et il avait dit : « Si vous ne mangez ma chair, vous n’aurez pas la vie en vous[8] ». Quelques disciples, au nombre de septante environ, en furent scandalisés, et s’écrièrent : « Cette parole est dure, et qui e pourrait l’entendre ? » Ils se séparèrent et ne le suivirent plus[9]. Cette parole leur paraissait

  1. Ps. 33,15
  2. Rom. 4,5
  3. Mt. 25,34-41
  4. Ps. 98,5
  5. Isa. 66,1
  6. Deut. 6,13 ; Mat. 4,10
  7. Jn. 6,64
  8. Id. 54
  9. Id. 61-67