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autres ; mais bien : « Nous sommes la bonne odeur du Christ, en tout lieu, et pour ceux qui se sauvent, et pour ceux qui périssent ». Et il ajoute aussitôt : « Aux uns nous sommes une odeur de vie pour la vie, aux autres une odeur de mort pour la mort[1] ». Il était donc revêtu de beauté pour ceux auxquels il était une odeur de vie, et de force pour ceux auxquels il était une odeur de mort. Si tu te réjouis quand les hommes te louent, quand ils prennent goût à tes œuvres ; si leur blâme te fait manquer de courage, et ralentit tes bonnes œuvres, comme si tu en avais perdu le fruit en trouvant des détracteurs ; tu n’es pas immobile encore, et tu n’appartiens pas encore à « cette terre ferme qui ne sera point ébranlée, pour laquelle le Seigneur s’est préparé en se revêtant de sa force ». Saint Paul touche, à un autre endroit, cette force et cette beauté : « Par les armes de la justice, à droite et à gauche ». Vois où il place la beauté, où il place la force : « Par la gloire et par l’ignominie[2] ». Il est beau dans la gloire, il est courageux dans l’ignominie. Chez les uns on relevait en gloire, chez les autres on le méprisait. Il apportait donc la beauté aux premiers, et la force à ceux auxquels il ne plaisait point. C’est en ce sens qu’au même endroit il énumère tous ces contrastes jusqu’à cette parole : « Comme n’ayant rien et possédant tout[3] ». Posséder tout, c’est la beauté ; n’avoir rien, c’est la force. Ne nous étonnons donc point si le Prophète a dit : « Il a consolidé la terre qui ne sera point ébranlée ». Comment l’univers entier ne sera-t-il point ébranlé ? C’est parce que les fidèles du Christ sont partout et prêts à tout : à se réjouir avec ceux qui louent, à s’armer contre ceux qui blâment ; à ne s’amollir point devant la louange, âne point se laisser abattre par le blâme.
3. Peut-être demanderons-nous aussi le sens de cette parole : « Il est ceint ». Se ceindre désigne le travail, et un homme ceint ses reins quand il va travailler. Comment toutefois le Prophète, au lieu de dire : Il est ceint, a-t-il dit : « Ceint par-devant », praecinctus? Dans un autre psaume il est dit : « Ceignez vos reins de votre épée, ô Tout-Puissant, et les peuples tomberont sous vos coups[4] ». Ici, il n’est point dit simplement, ceignez-vous, cingere, ni ceignez-vous par-devant, praecingere, mais accingere gladium tuum, ceignez votre épée ; et accingere se dit lorsque la ceinture porte quelque chose aux flancs. Il a donc dit : Ceignez votre épée, accingere. Or, le glaive du Seigneur, qui a vaincu l’univers entier, c’est l’Esprit de Dieu dans la vérité de sa parole. Pourquoi ceindre ce glaive autour des reins ? il est vrai, mes frères, que ce verset vient d’un autre psaume, et que nous avons expliqué la ceinture autrement ; mais continuons puisqu’il se représente ici. Qu’est-ce que porter son épée à ses reins ? Les reins ont le sens de la chair. Car le Seigneur n’aurait point soumis l’univers entier, si le glaive de la vérité n’était venu dans la chair. Mais pourquoi dans notre psaume le mot praecingere, qui s’emploie quand on met quelque chose devant soi ? De là vient qu’il est dit que Jésus « mit devant lui un linge, praecinxit, et lava les pieds de ses disciples ». Il fut humble alors, ayant mis devant lui un linge pour laver leurs pieds. Or, toute force est dans l’humilité, puisque tout orgueil n’est que faiblesse. À propos de la force, le Prophète s’est servi du mot praecinctus, ceint par-devant, afin de te rappeler que ce même Dieu assez humble pour laver les pieds des disciples était aussi praecinctus. Or, Pierre saisi de frayeur en voyant à ses pieds son Seigneur, son Maître (et dire son maître, c’est moins dire que son Seigneur), voyant son Seigneur se courber à ses pieds, pour les laver, fut dans la stupeur et s’écria : « Seigneur, vous ne me laverez point les pieds ». Mais le Sauveur : « Ce que je fais, tu ne le comprends point maintenant, tu le sauras plus tard ». Et Pierre : « Jamais vous ne me laverez les pieds ». Et Jésus : « Si je ne te purifie, tu n’auras aucune part avec moi ». Mais Pierre qui avait frissonné en voyant son Maître lui laver les pieds, frissonna plus encore à cette parole : « Tu n’auras point de part avec moi ». Tant que le Seigneur n’agissait point sans motif, et qu’il y avait là quelque mystère, il s’écria : « Seigneur, non seulement les pieds, mais les mains et la tête et tout le corps ». Et Jésus : « Celui qui a été lavé n’a plus besoin de se laver une seconde fois, mais il est complètement pur ». Si donc il leur lavait les pieds, ce n’était pas tant pour les purifier que pour leur donner un exemple d’humilité. Car il leur avait dit : « Ce que je fais, tu ne le comprends pas maintenant, tu le sauras

  1. 2 Cor. 2,16
  2. 2 Cor. 6,8
  3. Id. 10
  4. Ps. 94,4-6