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sera plus une espérance alors, mais une possession. Or, si nous aimons ce que nous ne voyons point encore, que sera-ce quand nous le verrons ? Que notre désir s’accroisse dès lors. Nous ne sommes chrétiens que pour la vie future : que nul ne se promette le bien de cette vie et la félicité du monde, parce qu’il est chrétien ; qu’il use de la félicité d’ici-bas, comme il pourra, quand il pourra, et autant qu’il pourra. Quand il la possède, qu’il remercie Dieu qui le console ; quand il en est privé, qu’il rende grâces à sa justice. Qu’il soit toujours reconnaissant, jamais ingrat ; qu’il reçoive avec gratitude les faveurs d’un Père qui le console, et qu’il reçoive avec la même gratitude les châtiments d’un Père qui le soumet au joug de la discipline : car c’est toujours par amour que Dieu nous prodigue ses faveurs ou ses menaces, et que le chrétien rejette cette parole du Psalmiste : « Il est bon de bénir le Seigneur, et de chanter des hymnes en votre nom, ô Dieu Très-Haut[1] ».
2. Voici le titre du psaume : « Psaume du cantique pour le jour du sabbat[2] ». Aujourd’hui est un jour de sabbat, de ce sabbat que les Juifs honorent maintenant par un repos extérieur, une oisiveté molle et luxurieuse, car ils s’adonnent alors à des bagatelles, et ce sabbat qu’a prescrit le Seigneur[3], ils le passent à des occupations qu’il a défendues. Le sabbat, pour nous, c’est l’abstention de toute œuvre mauvaise, et pour eux, de toutes bonnes œuvres. Car labourer la terre serait mieux que danser. Pour eux, ils s’abstiennent de toute bonne œuvre, mais non de toute œuvre puérile, Dieu nous a donc prescrit un repos : quel repos ? Voyez d’abord où est ce repos. Pour plusieurs le repos est dans les membres, tandis que la conscience est dans un trouble tumultueux. Quiconque est méchant ne saurait avoir ce sabbat : car sa conscience n’est en repos nulle part ; il vit nécessairement dans l’agitation. La bonne conscience, au contraire, est toujours tranquille ; et cette paix est le sabbat du cœur Il se repose dans les promesses du Seigneur, et s’il éprouve quelque fatigue en cette vie, il s’élève jusqu’à l’espérance de l’avenir, et alors se dissipe tout nuage de tristesse ; comme le dit l’Apôtre : « Il jouit par l’espérance[4] ». Or ; cette joie pacifique dans l’espérance est notre sabbat. Voilà ce que chante, ce que préconise notre psaume ; il apprend au chrétien à demeurer dans le sabbat de son cœur, c’est-à-dire dans le calme et dans la tranquillité, dans la sérénité d’une conscience sans trouble. De là vient qu’il nous parle de ce qui est communément pour les hommes un sujet de trouble, afin de nous apprendre à célébrer le sabbat dans notre cœur.
3. Tout d’abord, si tu as fait quelques progrès dans la piété, tu dois confesser à Dieu que ces progrès viennent de sa grâce et non de tes mérites. C’est ainsi qu’il faut commencer à célébrer ton sabbat ; et ne t’attribue point ce qui te vient de Dieu, comme si tu ne l’avais point reçu[5] ; ne t’excuse point non plus du mal que tu as fait, car il est véritablement de toi. Des hommes pervers et dans le trouble, qui ne célèbrent point le sabbat, rejettent sur Dieu le mal qu’ils font, et s’attribuent le bien. Celui-ci fait-il une bonne action ? C’est moi qui l’ai faite, s’écrie-t-il. Fait-il du mal ? Il cherche à qui l’attribuer, pour ne point le confesser à Dieu. Qu’est-ce à dire qu’il cherche à qui l’attribuer ? S’il n’est pas tout à fait impie, il a sous la main le diable qu’il accuse : c’est le diable qui en est l’auteur, le conseiller, l’instigateur, comme si Satan avait le pouvoir de te forcer. Il a le pouvoir de te solliciter au mal ; que si Satan venait à parler, et Dieu à garder le silence, tu pourrais encore t’excuser ; mais maintenant tu es entre Dieu qui t’avertit, elle diable qui te pousse au mal. Pourquoi incliner l’oreille de l’un à l’autre ? Satan ne cesse de te pousser au mal, Dieu ne cesse de te porter au bien. Satan ne saurait te forcer ; tu as toujours le Pouvoir de consentir ou de résister. Si tu agis mal à son instigation, laisse là le diable, n’accuse que toi-même, afin que ton aveu te mérite le pardon de la part de Dieu. À quoi bon accuser celui qui ne peut obtenir son pardon ? C’est toi qu’il faut accuser, et tu obtiendras ton pardon. D’autres, sans accuser le diable, accusent le destin. C’est le destin, dit l’un, qui m’a poussé. Qu’as-tu fait ? diras-tu à l’un, pourquoi un tel crime ? C’est mon malheureux destin, répond-il. Pour ne point dire : Voilà ce que j’ai fait, il lève les mains contre Dieu, et sa langue profère des blasphèmes. Il ne le fait pas ouvertement, mais vois s’il ne le dit pas en effet. Demande-lui ce qu’est le destin, et il dira : Sa mauvaise

  1. Ps. 91,2
  2. Id. 1
  3. Exod. 20,8
  4. Rom. 12,12
  5. 1 Cor. 4,7