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a délivré son âme des puissances de l’enfer ; et pourtant nous sommes encore dans la douleur. Ainsi disaient les martyrs dont nous célébrons la fête. Il vivra, il ne verra point la mort, il a délivré son âme des puissances de l’enfer ; et néanmoins on nous égorge à cause de vous ; tout le jour, nous ressemblons aux brebis qu’on destine à la boucherie[1]. « Où sont donc vos antiques miséricordes, ô mon Dieu, celles que vous avez jurées à David par votre vérité ? »
12. « Souvenez-vous de l’opprobre de vos serviteurs[2] ». À peine le Christ était-il ressuscité, à peine était-il assis à la droite de Dieu son Père, qu’on jetait l’opprobre à la face des chrétiens : on leur fit longtemps un crime du nom même du Christ. Cette veuve qui enfante, et qui a des enfants plus nombreux que celle qui a un Époux[3], a entendu des paroles d’ignominie, des paroles d’opprobre. Mais dès que l’Église se multiplie, qu’elle s’étend à droite et à gauche, elle ne se souvient plus de l’ignominie de son veuvage. « Souvenez-vous, Seigneur », vous dans le souvenir duquel on goûte une abondance de douceur ; « Souvenez-vous », n’oubliez point. De quoi vous souviendrez-vous ? « Souvenez-vous de l’opprobre de vos serviteurs, de cet opprobre que je cache dans mon sein, et qui leur vient de tant de nations ». J’allais prêcher votre saint nom, et je recueillais des opprobres, et je les cachais en mon sein, afin d’accomplir cette parole : « On nous jette le blasphème et nous prions, nous sommes devenus les rebuts du monde, la balayure de tous[4] ». Longtemps les chrétiens cachèrent ces opprobres dans leur sein, dans leurs cœurs ; ils n’osaient répondre aux injures : auparavant c’était un crime de répondre à un païen, et aujourd’hui c’est un crime de demeurer dans le paganisme. Grâces au Seigneur, qui s’est souvenu de nos opprobres ; il a élevé la puissance de son Christ, et l’a signalé à l’admiration des rois de la terre. Nul aujourd’hui n’insulte aux chrétiens ; ou si quelqu’un leur insulte, ce n’est point en public : et en le faisant, il craint plus qu’on ne l’entende, qu’il ne désire qu’on le croie. « Opprobre qui vient de tant de nations, et que je cache en mon sein ».
13. « Vos ennemis nous ont fait un reproche, ô mon Dieu[5] ». Juifs et païens « nous ont fait un reproche » ; qu’ont-ils reproché ? « Le changement de votre Christ ». Oui, « le changement de votre Christ », voilà ce qu’ils nous ont reproché. Ils nous ont objecté que votre Christ est mort, que votre Christ a été crucifié. Insensés, que nous objectez-vous ? Aujourd’hui, il est vrai, nul ne fait cette objection, et pourtant s’il en restait quelques-uns, pourquoi nous objecter que le Christ est mort ? Ce n’était point une mort, ce n’était qu’un changement, ce n’était que trois jours de mort. Voilà ce que vous ont reproché vos ennemis ; ce n’était ni la mort, ni l’anéantissement, mais bien « le changement de votre Christ ». Il a changé une vie temporelle en une vie sans fin ; il a changé, en passant des Juifs aux Gentils ; il a changé la terre pour le ciel. Que vos ennemis s’en viennent donc vous reprocher sans raison « le changement de votre Christ ». Puissent-ils changer eux-mêmes ! ils ne nous reprocheraient plus le changement de votre Christ. Mais ce changement leur déplaît, parce qu’ils ne veulent point changer eux-mêmes. Car il n’y a point de changement pour eux, et ils n’ont aucune crainte du Seigneur[6]. « Vos ennemis, ô Dieu, vous ont reproché le changement de votre Christ ».
14. Ils vous ont donc reproché ce changement : mais vous, Seigneur ? « Que le Seigneur soit béni éternellement, qu’il en soit ainsi ! qu’il en soit ainsi[7] ! » Rendons grâces à sa miséricorde, grâces à sa grâce. Pour nous, en rendant grâces à Dieu, nous ne lui donnons rien, nous ne lui rendons rien, nous ne rapportons rien, nous ne payons rien, nous lui rendons grâces en paroles, nous retenons en effet sa grâce. C’est lui qui nous a sauvés gratuitement, sans considérer nos impiétés ; lui qui nous a cherchés quand nous ne le cherchions pas, qui nous a trouvés, qui nous a rachetés, qui nous a délivrés du joug du diable, et de l’esclavage des démons : il nous a liés afin de nous purifier par la foi, tandis qu’il a délié ces ennemis, qui ne croient point, et dès lors ne peuvent arriver à se purifier. Que ceux qui demeurent encore éloignés disent chaque jour ce qu’ils voudront, leur nombre ne diminuera pas moins chaque jour : qu’ils se répandent en injures, en raillerie, qu’ils nous reprochent, non la mort, mais « les changements du Christ ». Ne voient-ils pas qu’en parlant ainsi, ils diminuent

  1. Ps. 43,22
  2. Id. 88,51
  3. Isa. 54,1 ; Gal. 4,21
  4. 1 Cor. 4,13
  5. Ps. 88,52
  6. Ps. 54,20
  7. Id. 88,53