Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IX.djvu/320

Cette page n’a pas encore été corrigée

DISCOURS SUR LE PSAUME 86

SERMON AU PEUPLE.[1]

LA JÉRUSALEM CÉLESTE.

La ville chantée dans le psaume est la cité de Dieu que nous chantons, si nous l’aimons. C’est la sainte Sion dont les Apôtres et les Prophètes sont tout à la fois les citoyens et les montagnes sur lesquelles cette cité est bâtie. Le Christ est cette pierre de l’angle où se sont rencontrées les deux murailles venant l’une de la circoncision, l’autre de la gentilité. Il est aussi la base de la Cité, et au lieu que les édifices de la terre partent d’en bas, l’édifice spirituel vient d’en haut. Le Christ est encore la porte du bercail, et le berger, et cet édifice est vivant dans chacune de ses pierres, et chaque pierre est carrée afin d’être debout en tout sens. Les Apôtres et les Prophètes en sont la base, parce qu’ils soutiennent notre faiblesse, et les portes, parce que nous y entrons par eux ; et y entrer par eux, c’est y entrer par Jésus-Christ. De là ce nombre de douze portes, nombre qui désigne l’universalité, et correspond aux douze sièges, parce qu’on viendra de tous côtés pour y entrer, y siéger, y juger. Le Christ nous y a précédés et y entre dans chacun de ses membres qui s’est appliqué les mérites de la passion. C’est là que viennent Rabab et Babylone, ou les Gentils purifiés. C’est le Christ qui a fondé cette ville où il est né, comme il a créé sa mère. Là est le roi, l’ineffable bonheur.


1. Le psaume que l’on vient de chanter n’a que peu de paroles ; mais il est riche de pensées. Il a été lu tout entier, et vous voyez le peu de temps qu’il a fallu pour arriver à la fin. Notre bienheureux père, qui nous honore de sa présence, m’a proposé tout à l’heure de l’exposer à votre charité autant que Dieu voudra bien me l’accorder. Une proposition si subite serait embarrassante, si celui qui m’engage ne me venait en aide par ses prières. Que votre charité soit donc attentive. Ce psaume chante et signale à notre attention une ville dont nous devenons les citoyens en devenant chrétiens, et d’où nous sommes exilés en cette vie mortelle ; une ville dont nous approchons par la voie qui y conduit. On ne pouvait jadis trouver cette voie encombrée d’épines et de ronces ; mais afin que nous pussions arriver à cette cité, le roi lui-même s’en est fait la voie. Donc, en marchant dans le Christ, étrangers ici-bas jusqu’à ce que nous soyons arrivés, en soupirant dans le désir de l’ineffable repos qui règne en cette cité, repos pour lequel on nous a promis « ce que l’œil n’a point vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme[2] » ; en marchant donc, chantons de manière à stimuler nos désirs. Dans l’homme qui désire en effet, le cœur chante, quand même la langue se tairait ; mais pour l’homme sans désir, quelque clameur qu’il fasse entendre aux hommes, il est muet pour Dieu. Voyez comme ceux qui aimaient cette ville aspiraient à y arriver ; avec quelle effusion ces hommes, qui l’ont prophétisée, qui l’ont signalée à notre espérance, en ont aussi chanté les attraits. Ces désirs leur venaient de l’amour de cette cité, et cet amour était une effusion de l’Esprit-Saint. « Car l’amour de Dieu », dit l’Apôtre, « est répandu dans nos cœurs, par l’Esprit-Saint qui nous a été donné[3] ». Ayons donc cette ferveur de l’Esprit-Saint, pour entendre ce qu’on va dire de cette cité bienheureuse.
2. « Ses fondements sont sur les montagnes saintes[4] ». Le Prophète n’avait rien dit encore de cette ville, et tout à coup il s’écrie : « Ses fondements sont sur les montagnes saintes ». Les fondements de quoi ? Sans doute les fondements d’une ville, puisqu’ils sont placés sur des montagnes. Citoyen donc de cette ville, et plein de l’Esprit-Saint, roulant en son âme tous les motifs d’amour et de soupirs, pour une cité aussi sainte, il échappe tout à coup ses méditations et s’écrie : « Ses fondements sont sur les montagnes saintes » ; comme s’il en avait déjà parlé. Comment dire qu’il n’en avait point parlé, lui qui n’avait point cessé d’en parler dans son cœur ? Comment dire « ses fondements », quand on n’a

  1. Probablement prêché à Carthage, en présence de l’évêque de cette ville, Aurèle.
  2. 1 Cor. 2,9
  3. Rom. 5,5
  4. Ps. 86,1